domenica 22 marzo 2009

Fragments d'un maître di Salvatore Panu

Fragments d'un maître
Petit essai sur l'inachèvement d'une relation pédagogique


Tout le monde attendait Georges en Italie, à Bologne, le 27 avril 2008. Il aurait dû participer à une initiative que j'organise chaque année, le « Canto Sociale », entre le 25 avril (fête de la Libération du nazisme-fascisme) et le 1er mai (fête des ouvriers). Son intervention, que j'avais intitulée « autogestion et transe », aurait dû avoir lieu dans le Centre social autogéré, XM24, la dyalise, pour le jour de sa permanence était déjà bien organisée par Roberto Panzacchi et Rosario Picciolo était déjà prêt pour aller le chercher à l'aéroport. Denis Robert (musicien parisien) et Badia (peintre et sculptrice) étaient déjà arrivés pour mener le stage sur les chants de la Commune de Paris. Georges aurait même pu rencontrer Giovanna Marini, qui chantait les chants de la Résistance avec le « Mondine »[1] de Bentivoglio (petit village à côté de Bologne). Jusqu'à la veille Georges était enthousiaste à l'idée de revenir encore une fois en Italie, dans un centre social autogéré, mais ce matin-là, il n'a pas eu la force de se lever. Patrick Boumard, et l'équipe qui tournait le film sur Georges, sont donc arrivés sans lui.
Le 10 mai 2008, c'était son 84ème anniversaire.
Les 21 et 22 juin 2008, à Rome, il y a eu un colloque international d'Analyse Institutionnelle et Socioanalyse, organisé par la coopérative éditoriale, « Sensibili alle foglie ». Nous nous sommes retrouvés nombreux, Remi Hess, Parick Boumard, Kareen Illiade, Renato Curcio, Piero Fumarola, Leonardo Montecchi, Roberto de Angelis, Nicola Valentino et moi-même. Georges était le grand absent autour duquel s'écoulaient les discours.
J'ai pris ensuite l'avion avec les Français, pour participer, comme tous les ans, au Colloque international d'Analyse institutionnelle (8ème édition), les 24, 25, 26 juin 2008 à l'Université Saint-Denis Paris 8. Cette année, le thème était: « La place des femmes dans l'AI, le tournant biographique ». A sa manière typique, Georges avait toujours participé à tous les colloques d'Analyse Institutionnelle. Pour la première fois il ne parvenait pas à sortir de sa maison et à traverser la rue de la Liberté, la rue dans laquelle il habitait, au numéro 9, en face de l'Université qu'il avait contribué à fonder. Ces jours-là, je profitais de chaque occasion pour aller le visiter. Désormais il entrait et sortait de l'hôpital sans arrêt, au-delà des trois fois par semaine, auxquels il était habitué à cause de la dyalise, il était hospitalisé pour des périodes plus longues. Mais il ne voulait pas rester à l'hôpital, et après quelque temps il sortait. Mais il ne mangeait pas, il était tellement maigri … Zayan, son chien, n'aboyait quasiment plus. Il ne dormait que d'un œil, en permanence, dans cet état qui autrefois lui plaisait beaucoup. Un jour en effet il m'avait raconté qu'il aimait beaucoup cet état de « sommeil-éveillé », dans lequel on ne sait pas bien s'il l'on est en train de rêver ou s'il on est déjà conscient, une zone liminaire, de frontière, hautement créative, où l'on peut élaborer librement, presque gérer son propre vol, une zone qui pourrait être comme de transe.
Quand j’allais le visiter j'attendais qu'il se réveille, ou j'essayais de le réveiller. Comme Zayan me revoyait pour la première fois depuis longtemps, c'est lui qui s'en est occupé et, sans faire trop de fête comme il faisait normalement, il m'a conduit directement dans la chambre de Georges. Au lieu de sauter sur son lit comme il faisait d'habitude, avec son museau il cherchait à bouger le bras lourd, endormi, qui pendait du lit, le bras morcelé à cause de plusieurs années de dyalise : en effet Zayan essayait de me montrer combien il était difficile de réveiller Georges, et essayait de me raconter que la situation était certainement plus grave que d'habitude. C'était obscur dans sa chambre, et dehors il y avait une magnifique journée pleine de soleil, dans ce Paris du mois de juin.
J'ai ouvert les volets pour faire entrer la lumière et changer l'air. Georges a ouvert un peu les yeux. Je lui proposai de faire une promenade, disons deux pas dans la maison, de se lever au moins un moment. Il m'a dit oui, dans un acquiescement. Mais il ne bougeait pas. Je l'ai pris, avec tout son poids. D'abord assis sur le lit, puis je l'ai accroché sous son bras, j'essayais de l'aider à se mettre debout. Les jambes ne le supportaient plus. On a essayé de faire deux pas en tout et pour tout, et finalement il a parlé, il a dit non. Il avait quand même essayé. Après un petit temps, je lui demandai s'il voulait réessayer, et il m'a encore dit dans un acquiescement oui. Même procédure, même résultat. Puis encore une fois au lit.
Dans ces jours-là, Giusi Lumare était passée avec moi, elle qui attendait dehors pour ne pas le déranger, et Noemi Bermani, qui l'a salué depuis la porte, pour être discrète. Il y avait aussi une femme de ménage, une jeune noire, c'était une grande nouveauté, parce que Georges n'avait jamais voulu d'une femme de ménage, surtout une femme ! Peut-être aimait-il observer comment les étudiants qu'il hébergeait gratuitement contribuaient à la gestion collective de la maison. En effet, la maison en ce moment était plus propre, plus ordonnée que d'habitude. La femme m'a demandé si j'étais quelqu'un de la famille; je lui ai répondu « en quelque sorte, oui », mais non, je n'étais pas parent de lui. Elle m'a demandé si Georges avait de la parentèle. Je lui ai répondu qu'il n'avait pas de fils et que ses parents habitaient très loin. Elle était émerveillée, probablement parce que dans la coutume africaine les dynamiques familiales sont différentes, mais elle ne pouvait pas savoir combien était ample la communauté humaine et intellectuelle qui entourait Georges.
Je suis parti pour réaliser un stage de Musique pour fanfare non conventionnelle en Normandie, pendant trois jours. Quand je suis revenu à Paris, je suis passé rue de la Liberté, avant de repartir pour l'Italie. J'ai salué Georges, en lui disant qu'on aurait pu se revoir à la fin du mois, parce que vers la fin de juillet je serais remonté en France. Les opérateurs de la dyalise sont arrivés, ils l'ont vêtu, l'ont soulevé, l'ont mis sur une chaise et l'ont amené en descendant l'escalier étroit et, pendant qu'il grommelait continuellement, en disant « foutez-moi la paix ! » ils l'ont introduit dans l'ambulance. Je les ai un peu aidés, ils étaient habitués à ce type de travail, experts et déterminés, sûrs de leur action, ils nous ont permis de nous saluer encore, puis j'ai fermé la porte de l'ambulance et je suis resté là, en le voyant partir. Même Zayan n'aboyait plus.
Le 30 juillet 2008, en fin de matinée, j'ai reçu un appel téléphonique depuis le portable de Reski Assous, le jeune étudiant algérien qu'il hébergeait depuis des années au rez-de-chaussée : « Salvatore, Georges est mort! ».
Le 3 août, je suis arrivé dans l'Abbaye d'Auberive, en Haute-Marne, pour coordonner un stage avec à peu près 60 musiciens, qui provenaient de Normandie, de Paris, de Bordeaux et d'Italie. J'avais envie que tous les participants amènent leur contribution musicale, tous les matins on travaillait sur les techniques et la pratique de l'improvisation collective et tous les après-midis on tentait d'articuler une composition collective.
Le 6 août Denis Robert (responsable de l'organisation de l'initiative) et Giusi Lumare m'ont accompagné à Paris pour la crémation de Georges. J'ai expliqué à tout le monde pourquoi je devais aller à Paris, et j'ai donc laissé 60 musiciens dans l'autogestion collective la plus totale pendant toute la journée : en effet, jusqu'au bout Georges a encore une fois déclenché un processus d'autogestion collective.
On est partis très tôt pour arriver à l'heure à la crémation à 11 heures à Villetaneuse (Joncherolle), pas loin de l'Université de Saint-Denis. Là on a rencontré aussi Roberto Panzacchi avec Sabina et leurs deux enfants qui venaient d’Italie. J'avais avec moi deux tournesols que j'avais coupés sur la route, dans un champ, en Haute-Marne pendant le voyage et j'avais aussi l'accordéon. A la fin de la cérémonie, quand on voulait bureaucratiquement nous mettre dehors, parce que le temps était écoulé, ils ont fait disparaître le cercueil en l'emmenant ailleurs pour la crémation, moi et Denis nous nous sommes levés, on a pris la place du cercueil, qui n'était plus là et on a chanté à deux voix, pour Georges et pour la centaine de personnes présente. On a chanté « Le temps des cerises », un chant de la Commune de Paris, qu'il me demandait toujours de jouer à l'accordéon et que lui-même aimait chanter. Ensuite un chant traditionnel de mon village de Sardaigne. Les enfants de Roberto, qui avait si souvent hébergé Georges à Bologne, voulaient voir la maison de cet espèce de grand-père qu'il était pour eux et ils voulaient aussi voir Zayan. J'ai pris avec moi les tournesols, pour ne pas les laisser à la voracité de la bureaucratie funèbre. On les amenés rue de la Liberté. J'ai laissé les tournesols dans la chambre à coucher vide de Georges et on est repartis immédiatement pour l'Abbaye d'Auberive.
Dans ces jours-là j'ai proposé à tout le groupe de musiciens de jouer une de mes compositions, dédiée à Georges, « Oru », qui signifie « la ligne de l'horizon dans la mer, que l'on voit depuis l'île de Sardaigne ». A la première exécution on était tous très émus, j'ai été submergé par les vagues sonores de cette mer qui s'ouvrait devant moi, et j'ai eu la sensation d'accompagner, un peu, Georges, dans sa transe.

La première fois que j'ai rencontré Georges, en Italie, à Bologne, c'était les 29 et 30 avril 1991. On avait organisé avec le Damsterdamned, collectif étudiant du DAMS[2], un séminaire intitulé « Rap-Ethnie-Transe ». On respirait encore l'air de la « Pantera », le mouvement étudiant de 1990. Georges avec Piero Fumarola tournaient dans les universités italiennes occupées avec un séminaire itinérant et nous, nous avions réussi à les intercepter … Lecce, Rome, enfin ils ont débarqué à Bologne.
La question centrale fut la tentative de connecter les expériences des mouvements des jeunes, de la « Pantera », du phénomène naissant en Europe du Rap, Raggamuffin, Hip-Hop et plus en général des sous-cultures ou contre-cultures, avec les cultures populaires de tradition orale, qui représentait une source d'appropriation d'identité, dans un contexte d'immigration massive, comme à Bologne, pour les jeunes du Salento (voir les groupes Sud Sound-System) ou Marseille en France (Massilia Sound-System). En outre, s'entrelaçait le discours sur la transe, en tant qu'élément traditionnel qui ré-émergeait par exemple dans le tarentisme.
On les a recontactés l'année suivante, les 6-8 mai 1992, lors d'une initiative intitulée « I linguaggi dell'irritazione », pour approfondir les discours laissés ouverts et pour élargir le débat sur les « langages irrités » typiques des contre-cultures de jeunes, mais aussi typiques aux formes d'expression créative, dans des situations d'enfermement comme les institutions totales. Donc les discours de l'art dans les asiles (en particulier on se référait surtout aux expériences dans la section autogérée de l'asile d'Imola, dirigée par Giorgio Antonucci) et le phénomène des états modifiés de conscience en situation de privation comme celle de la prison (on se référait surtout aux expériences en prison de Renato Curcio et Nicola Valentino). Noemi Bermani travaillait sur ce qui devait finalement devenir sa thèse de Laurea[3]
1992 fut une année très prolifique. Cela faisait environ un an qu'on allait jouer à la section autogérée de l'hôpital d'Imola et j'ai proposé de faire une irruption à l'asile Roncati de Bologne vu que j'habitais dans la même rue, presque en face et un dimanche matin on est parti de chez moi, avec une quinzaine de musiciens : là naquit officiellement la Banda Roncati, qui existe encore. La même année, Giusi Lumare, avec d'autres, avait fondé la librairie Grafton 9, qui fut un point de repère pour tout le Mouvement bolognais pendant des années et qui maintenant malheureusement n'existe plus. Toujours la même année, je fondis l'école populaire de musique Ivan Illich, qui existe encore, mais de laquelle, avec Noemi Bermani, Giusi Lumare, Chiara Stefani et d'autres encore, nous nous sommes dissociés, il y a à peu près trois ans, en raison de divergences paradigmatiques avec l'actuel Conseil d'Administration.
En 1996, je me suis inscrit à l'Université Paris 8 pour obtenir le DESS[4] en ethnométhodologie, grâce à l'aide concrète de Georges Lapassade, qui m'a aidé physiquement à me débrouiller dans le labyrinthe de la bureaucratie universitaire.
Dans l'été 1997 Georges et moi sommes invités en Sardaigne, pour faire une recherche sur le terrain, par l'association Carovana de Cagliari, qui organisait une initiative sur le thème « tradition et modernité ». Nous avons effectué une recherche-action à Oliena, dans le cœur de la Sardaigne, pendant la fête de la Madonna de Monserrato, du 31 août au 8 septembre 1997. Pendant cette recherche, un groupe local de jeunes tenores[5], invité à participer à une expérimentation musicale avec un groupe rock, refuse d'aller au-delà d'une telle expérience, au nom du respect des traditions culturelles. En réalité ces jeunes « conservateurs » d'une tradition culturelle locale qui rejettent expressément les cultures juvéniles métropolitaines, constituent paradoxalement une « bande de style », avec ses caractères spécifiques et ses vêtements; ils semblent vouloir affirmer une sorte d'identité ethnique et d'authenticité culturelle de laquelle ils seraient les garants; mais cette identité, qui s'enracine bien sûr dans le passé de cette région, est en même temps une construction identitaire.
Georges a donc débarqué en Sardaigne et à la suite de ses interventions l'intérêt pour son personnage intellectuel augmente. En 1998, une revue locale me demande d'écrire quelque chose sur lui; je réalise un entretien et je publie un article[6].
Successivement en novembre 2001 je publie un livre[7] dans lequel je raconte cette expérience de recherche avec Georges et plus en général j'aborde le problème de l'ethnicité, à partir de l'actualité sarde. La diffusion de l'accordéon diatonique, le phénomène des festivals de folklore et certaines dynamiques de fonctionnement des groupes folks offrent le prétexte pour étudier les dynamiques de transformation et de métissage des cultures populaires des traditions orales et pour affronter la question cruciale de la spectacularisation de la culture de la fête.
Le 7 mars 2002, Georges est à Bologne pour la présentation de mon livre dans le « Circolo Sardo », association locale des immigrés. Plus tard encore, en 2005, Georges me pousse à publier un article sur le même sujet dans la revue « Les Irraiductibles »[8]. C'est grâce à Georges Lapassade si j'ai réussi à continuer à aimer ma terre d'origine sans la mythiser.
En vivant ensemble dans la maison rue de la Liberté, j'avais connu Youssef Akourtam, un jeune d’Essaouira (Maroc), qui était lui-même hébergé chez Georges, et qui faisait une thèse sur les Gnawa. C'est grâce à cette relation quotidienne, ce contact et ces compétences qu'ils avaient, que j'ai pu organiser un séminaire itinérant avec un groupe de Gnawa en Italie. Les 26 janvier-12 février 2000, j'ai donc organisé, avec la collaboration et la participation de Georges et Youssef, « Lila, la Derdeba degli Gnawa di Essaouira (Maroc) di Omar Hayat », performance-colloque itinérant, avec une « famille » de sept gnawi, séminaire qui s'est déroulé entre les universités de Bologne, Lecce et Naples, en passant à travers de nombreux centres autogérés par des jeunes, pour finir dans une des plus connues des discothèques d'Italie, à Rimini, le Cocorico, dans lequel on a tenté un échange musical avec DJ Cirillo, lui aussi très connu, ce qui nous a permis de réaliser l'initiative entière en payant pratiquement le voyage aux Gnawa. Parmi eux, les deux plus jeunes se sont échappés avant le retour au Maroc : le premier nous a dit qu'il allait au marché de Bologne pour acheter quelques petits cadeaux pour la famille et il a disparu dans la foule, l'autre, quand on la accompagné à l'aéroport de Milan, nous a demandé de garder un œil sur sa valise un instant, car il allait une seconde aux toilettes avant de s'embarquer et on ne l'a plus jamais vu. Moi j'ai pris un grand risque personnellement, en tant que responsable de leur présence en Italie et de leur retour au Maroc.
Il y avait eu aussi une fête-concert-rencontre au Livello 57, un centre social autogéré et occupé de Bologne, que Georges a souvent fréquenté, soit pour l'intérêt pour les dynamiques d'autogestion collective, soit pour comprendre le passage de la culture hip-hop à celle des rave-party et plus en général pour étudier le phénomène de l'usage de drogue, des états modifiés de conscience et du mouvement antiprohibitionniste. En plus des Gnawa, il y avait un groupe venu du Salento, de joueurs et chanteurs de pizzica[9]. Georges était vraiment à l'aise, il était bien dans cette ambiance colorée, aux tonalités humaines très fortes. Il connaissait déjà Omar Hayat, il a présenté les Gnawa, leur rituel et il était très amusé par son nouveau vêtement traditionnel : une sorte de costume d'Arlequin, constitué d'ensembles colorés, tous différents, un patchwork qui représentait bien les origines pauvres de cette tradition mais qui évidemment était très bien cousu avec de nouveaux tissus brillants pour l'occasion et non pas avec de vieux morceaux de tissus, en tout cas c'était un symbole très fort de métissage ... Georges, toujours dans son ton provocateur et affectueux!
Les 24-25 octobre 2000, Georges Lapassade participa à la rencontre avec Ivan Illich et Gino Stefani, mon ancien directeur de thèse en Italie[10]. Cette rencontre fut historique et non seulement pour moi : Ivan Illich à l'école populaire de musique Ivan Illich de Bologne! Finalement j'avais réussi à réunir devant moi trois maîtres qui improvisaient la rencontre avec notre communauté vivante. Pour l'occasion, comme d'habitude dans les moments importants de ma vie, même mes parents sont venus de l’ile de Sardaigne, sur le continent : ce fut une vraie fête!
La participation à deux aux colloques continua : en 2001, les 12-14 février, nous étions ensemble à l'université de Lecce pour le colloque « Identità locali e pensiero meridiano a quarant'anni da « La terra del rimorso », et encore les 6-8 septembre, pour le colloque « I Sud e le loro arti ». Nos interventions ont été publiées en 2001, dans le livre collectif dirigé par Piero Fumarola « I sud e le loro arti ». Le 9 mars 2002, à Bologne, colloque sur le néo-tarentisme auprès du Container Club, les 8-10 novembre 2002, au premier convivium international « Festa e riti teatrali del'oggi, verso un' arte transitiva », Fossa (Aquila), Teatro « La Fragolina », organisé par la compagnie théâtrale « Zeroteatro ».
Pendant ce temps j'ai continué mes études avec Georges et Remi Hess à Paris 8, où j'étais inscrit pour le Doctorat en Sciences de l'Education et le 20 octobre 2004 j'ai soutenu ma thèse[11].
A partir de 1999 j'ai participé aussi, avec Georges, aux colloques d'Analyse Institutionnelle qui se sont déroulés chaque année à l'université Paris 8, jusqu'au dernier, en juin 2008, quand pour la première fois Georges n'était pas là parce que très malade. J'ai vécu la naissance du collectif « Les IrrAIductibles », dont je suis membre de la rédaction transfrontière de la revue homonyme; j'ai toujours participé aux réunions hebdomadaires quand j'étais sur Paris, et Georges était toujours là. Georges me proposait toujours d'écrire dans la revue « Les IrrAIductibles » au sujet de la réalité autogérée que j'avais fondée et que je coordonnais à Bologne : j'ai donc publié plusieurs articles à ce sujet[12].
Mais l'ouverture de Georges allait bien au-delà de moi, en ce qui concerne l'implication à écrire dans la revue. Par exemple, il avait voulu publier un article de Noemi Bermani[13] et un autre de Giusi Lumare[14], les deux impliquées avec moi dans la gestion de l'Ecole Populaire de Musique Ivan Illich à Bologne, jusqu'à la crise et à la scission de 2006. Toutes deux fréquentaient l'université Paris 8.
Georges m'a toujours aidé et stimulé dans mon parcours de recherche et non seulement cela.
Quand il avait décidé d'acheter la maison au 2, rue de la Liberté, juste devant l'université que de quelque manière il avait contribué à fonder à Vincennes, il l'avait fait d'abord pour des raisons pratiques. En effet il avait un certain âge et le studio dans lequel il avait habité jusqu'alors, dans l'île de Saint-Louis (dans le même bâtiment où habitait aussi Gilbert Rouget, autre grand intellectuel, spécialiste des « musiques et transes »), c'était au 4ème ou 5ème étage d'un vieux building avec des escaliers en colimaçons, en bois très raides. Il m'avait demandé de lui donner un coup de main, pour faire le déménagement; quand j'ai trouvé la disponibilité de deux amis : Denis Robert (le chanteur présent à la crémation) et Badia, avec leur fourgonnette. Il m'avait dit qu'il n'y avait pas grand-chose, quelques livres... Quand on est arrivés là-haut, tout devait être rangé, il n'y avait rien encore dans les caisses en carton, et naturellement... il y avait une « petite » bibliothèque. Toutefois, la chose à laquelle il tenait le plus c'était son bureau en bois massif et brut, extrêmement lourd. Ce fut une journée interminable de travail et finalement on a fini le déménagement.
Je suis rentré pratiquement avec Georges dans sa nouvelle maison à Saint-Denis. Au départ c'était très amusant, parce que Georges ne restait pas tranquille, chaque semaine il voulait changer de chambre, il ne parvenait pas à vivre dans une maison aussi grande, il voulait tout en explorer et quand enfin je me étais installé dans une chambre, il me disait que les Italiens ont un très bon goût dans l'aménagement, que ma chambre lui plaisait beaucoup, qu'on aurait pu changer avec la sienne. En tout cas, c'était fini l'époque à laquelle Georges dormait à l'université, sur une chaise-longue, dans son petit bureau, pour éviter de perdre son temps dans le métro, en voyageant entre la banlieue et le centre de Paris. Ce n’était pas terminé par contre, l'époque du « meilleur restaurant de Paris ». C'était comme ça que Georges appelait le resto-U, dans lequel il aimait manger avec les étudiants, midis et soirs, ce que les professeurs universitaires d'aujourd'hui, même soixante-huitards, font de moins en moins.
La maison, dans laquelle au début habitaient seulement Jacky Lafortune, Georges et moi, était devenue rapidement bondée d’étudiants provenant de partout : du Maroc, du Ghana, de l'Algérie, de la Géorgie... étudiants qui avaient besoin d'être hébergés et que Georges stimulait quotidiennement dans leurs parcours d'études. Il s'agissait d'une sorte de groupe de recherche instable, un peu confus, qui pour commencer essayait de cohabiter et de se connaître. Mais on avait aussi la possibilité de se confronter au jour le jour avec les propositions actives que Georges n'arrêtait jamais de lancer avec ses tentatives d'impliquer les étudiants dans les recherches en cours à l'université.
Un jour, alors que j'étais rue de la Liberté, et que le professeur Remi Hess le visitait, il m'a appelé et nous a dit : « Je veux que vous soyez témoins, tous deux, de mes volontés, si je meurs... je veux que cette maison devienne un centre pour l'accueil des étudiants étrangers qui n'ont pas d'argent et qui font des recherches sur l'interculturalité ». En effet, c'était déjà comme ça, vu le nombre d'étudiants de diverses origines qu'il a toujours accueillis.
Il m'a hébergé à chaque fois que je venais à Paris, jusqu'à la soutenance de ma thèse de doctorat. Mais à partir de ce jour-là, le 20 octobre 2004, comme s'il s'agissait d'un rituel d'initiation à la vie, comme une sorte de rituel de passage générationnel et de changement de rôle dans la communauté, il ne m'a jamais plus permis de dormir chez lui, il m'a substitué avec d'autres étudiants et il m'a fait comprendre clairement que désormais notre relation était changée. Au contraire, il n'a jamais arrêté de se confronter avec moi, de me demander ce que j'étais en train de faire, et de me donner des suggestions et des opportunités pour mes recherches et mon étrange « carrière » de chercheur et « troubadour ».
En décembre 2005, janvier 2006, il est venu en Sardaigne, pour passer les vacances de Noël chez moi, chez mes parents, qu'il avait déjà rencontrés plusieurs fois, et qui ont encore aujourd'hui un souvenir très important de son humanité et de ces rencontres. Il était déjà très fatigué à l'époque, et on passait le temps à faire une enquête, un dialogue, un entretien : il voulait surtout comprendre la crise du groupe de l'Ecole Populaire de Musique Ivan Illich, les raisons de ma dissociation. J'ai enregistré et tapé environ cent pages de questionnement. En réalité il m'a beaucoup aidé à affronter et dépasser ma crise existentielle liée à la crise collective d'un mouvement et il m'a aussi appris comment faire une enquête.
Aujourd'hui je m'occupe d'un site internet dédié à Georges Lapassade en Italie[15], j'essaye de participer aux initiatives qui ont lieu en hommage à Georges et qui relancent ses pratiques et ses théories, je suis en train d'organiser un convivium qui se déroulera à Bologne les 8, 9 et 10 mai 2009, à l'occasion de son anniversaire.
Sociologue, pédagogue, philosophe, ethnologue... Jamais il n'a été possible de l'encadrer dans une discipline car il pratiquait une approche transversale rigoureuse. Il mettait toujours le doigt là où ça fait mal, au niveau social, toujours fidèle au hic et nunc, l'ici et le maintenant.
Il aimait voir les jeunes jouer, danser jusqu'à la transe. Il aimait les Gnawa du Maroc, les « pizzicati » du Salento, les tenores et la danse en cercle sarde. Il aimait tous ceux qu'il a stimulés et aidés à étudier en prenant des risques, en se mettant en jeu dans les conflits qui résultent d'une critique sociale permanente très aigüe.
Il nous laisse un héritage énorme de pratiques, de réflexion, de stimulations et surtout l'envie de continuer à vivre l'inachèvement de l'homme.

Salvatore Panu

[1] Groupe des femmes ouvrières qui chantent des chants traditionnels de travail liés à la récolte du riz. « Mondare » signifie nettoyer le riz.
[2] DAMS (Discipline des Art, Musique et Spectacle), Faculté de l’Université de Bologne.
[3] 1997, Thèse de laurea au DAMS de Bologne intitulèe “Arte e istituzioni totali, produzioni spontanee in contesti di difficoltà a vivere, l’archivio di scrizioni, scritture e arte ir-ritata della cooperativa Sensibili alle Foglie, dirigèe par le prof. Alessandro Dal Lago.
[4] PANU, S., 1997, Culture de la fête et société du spectacle : interculturalité dans la musique populaire galluraise, mémoire de DESS, Université Paris-8, Département d’Ethnométhodologie, dirigé par Remi Hess.
[5] Le chant à « tenores » est un chant polyvocal traditionnel sarde à quatre voix masculines.
[6] PANU, S., 1998, “Georges Lapassade”, in Beta, mars, Tempio Pausania.
[7] PANU, S., 2001, Il mito sardo, cultura della festa e società dello spettacolo, Dogliani, Sensibili alle foglie.
[8] PANU, S., 2005, Un dispositif anthropologique provocateur : la recherche-action d’Oliena (Sardaigne) sur l’opposition « tradition-modernité », in Les irrAIductibles, revue interculturelle et planétaire d’analyse institutionnelle, Université Paris-8 : n° 7 (février-mars), « Des dispositifs II », pp. 309-323.
[9] Danse et musique traditionnelles liées aux rituels du tarentisme dans le Salento.
[10] PANU, S., 1991, Innovazione e uso sociale della musica nell'attività di alcuni gruppi giovanili a Bologna (1989-1991), Thèse de laurea en Sémiologie de la musique, sous la direction de Gino Stefani, Université de Bologne.
[11] PANU, S., 2004, Le mythe de l’école. L’expérience de l’Ecole Populaire de Musique Ivan Illich (Bologne 1985-2004), thèse de doctorat en sciences de l’éducation, Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis, U.F.R. 8, présentée et soutenue publiquement le 20 octobre 2004, Directeur de la thèse : Rémi HESS. Jury : Patrick BOUMARD (Université Rennes-2) président, Christine DELORY-MOMBERGER (Université Paris-13), Rémi HESS (Université Paris-8), Georges LAPASSADE (Université Paris-8), Gilles BOUDINET (Université Paris-8), Ruben BAG (Universidad Pedagociga National de Mexico), Elysabeth CLAIRE (Performance Studes New York University).
[12] En 2004, Le mythe de l’école. L’expérience de l’Ecole Populaire de Musique Ivan Illich (Bologne 1985-2004), n° 6, pp. 295-298. En 2006, Education toute au long de la vie. L’expérience de l’école populaire de musique Ivan Illich, n° 9, pp. 179-218. En 2007, Une application de Groupes, organisations et institutions : l’école populaire de musique Ivan Illich de Bologne, n° 11, pp. 185-230. Et encore en 2007, En dehors du chœur : crise d’une école autogérée (Ecole populaire de musique Ivan Illich 2005/2006), n° 12, pp. 125-178.
[13] Où nait l’arbre en chocolat? Expérience d’un parcours didactique concernant les relations Nord/Sud dans des écoles primaires de Bologne (Italie), paru en 2005 dans le numéro 7 de Les IrrAIductibles, pp.225-244.
[14] Actuellement doctorante en Sciences de l’Education à Paris 8 sous la direction de René Barbier, l’article s’intitule Spiritualité laïque et connaissance, numéro 9 de la revue Les IrrAIductibles, pp.305-316.
[15] http://georgeslapassade.blogspot.com/

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