domenica 9 maggio 2010

Miroir et mémoire, par Abdelkader Mana


Georges a Essaouira, 1993 (photo de Luigi Di Cristo, archives de G. De Martino)

Fonte: http://rivagesdessaouira.hautetfort.com/archive/2009/03/20/miroir-et-memoire.html
26.11.2009

Georges Lapassade, l’ami d’Essaouira depuis toujours nous a quitté le mercredi 30 juillet 2008. Il est décédé dans une clinque parisienne puis a été inhumé dans le caveau familial d’Arbus en Béarn. Retour aux sources :

« Je suis parti d’Arbus et j’ai commencé à écrire pour exister. » écrivait-il dans son Autobiographe. Toute sa vie fut consacrée à l’écriture. Quiconque a rencontré Georges a fait quelque chose de sa vie. En tant que pédagogue-né, Georges Lapassade a, en effet, formé beaucoup de gens à l’écriture, aussi bien au Maroc, en France, qu’en Italie où il travaillait avec Gianni de Martino et un groupe de recherche sur la tarentule.Dans son Autobiographe Georges Lapassade écrit encore :



« Je suis né à Arbus, le 10 mai 1924.On raconte qu’à l’époque mon père chantait, sur un air de bourrée :

« Si l’Bon Dieu nous donne un garçon

A la saison des asperges

Toutes les filles du canton

Lui feront brûler un cierge... »

Le monde se situait pour nous, à peu près entre Pau et Monein. »

De là il partira à l’assaut de Paris, comme le Lucien des illusions perdues de Balzac, où il sera le père fondateur de l’analyse institutionnelle, et une autorité mondiale en matière d’ethnométhodologie des rites de possession et de transe.

Depuis 1969, Georges Lapassade a séjourné à peu près régulièrement, à Essaouira, chaque été :

« J’arrive à Essaouira dans les premiers jours de juillet. Au début, je trouve que l’odeur de sardine est trop forte, presque insupportable. Je feuillette quelques manuscrits, j’en apporte toujours avec moi quand je prépare un nouveau livre. Je les transporte dans mes sacs de toile et dans le grand cabas de ménagère que j’ai acheté l’été dernier au marché de Lisbonne chez un marchand de couleurs dans le quartier Belem-Blem-Blum. C’était à Belem. Je chantais toujours Belem-Blem-Blum en souvenir de la macumba. Le coq a chanté, il était minuit à Belem-Blem-Blum. »

Le chant de la macumba du Brésil, le stembali tunsien, les gnaoua marocains et enfin le rap parisien, partout où il allait Georges était fasciné par la contre- culture et les rites de possession de la diaspora noire et il les mettait à l’honneur, ce qui lui valu une distinction honorifique de Léopold Sédar Senghor, et une lettre de félicitations personnelle de Sa Majesté le roi Mohamed VI, lors de la parution de son ouvrage sur les Regraga intitulé D’un marabout, l’autre à la manière D’un château, l’autre de Céline.

Il venait surtout à Essaouira pour écrire tel ou tel de ses livres comme il le raconte dans son Autobiographe :

« Je revenais de Marrakech par l’autocar de la nuit. C’était une nuit de ramadan. Au levé du jour, le car s’est arrêté en rase campagne. Et ils sont descendus du car pour prier...Il faut un désir plus haut que la mort habituelle et plus haut que l’ennui pour que soudain, c’est tout à fait imprévisible, on puisse commencer à délimiter un espace blanc, comme des marques de fortune dans le désert des pierres blanches posées sur le sol pour une prière. Il conviendrait de justifier ce blanc où des mots peuvent s’inscrire à condition d’écrire selon la loi. Dans cet espace blanc ainsi délimité nous serions tournés vers l’est, très attentifs. Le jour se lève à l’est dans une lueur cassée, une lueur de nuit défoncée par le jour. La lune n’a jamais cessé d’éclairer la plaine pendant notre voyage toute la nuit la lune toujours là-haut dans le ciel, le temps est suspendu au fil de l’indécision comme si le jour hésitait à se lever....Je fais un effort pour écrire sur ma vie à Arbus ; il me faut pour cela retrouver des souvenirs. Je vais essayer. Toutes nos fêtes étaient religieuses. Elles marquaient la marche du temps. »

Et à Essaouira, il s’intéressait beaucoup aux fêtes religieuses, celle des Gnaoua au mois lunaire de Chaâbane, celles qui célèbrent la nativité du Prophète, mais aussi aux fêtes saisonnières en particulier le pèlerinage circulaire des Regraga. J’avais déjà lu son brillant article sur l’Emile de Jean Jacques Rousseau qu’il avait publié dans la revue Métaphysique en 1952, aux côtés de Bertrand Russel, mais je le voyais de loin enquêter à Essaouira sur les Gnaoua. J’enseignais alors au Lycée Akenssous de la ville. Un jour, au tout début des années 1980, le proviseur du lycée m’invita à une réunion prévue vers 16 heures à la Chambre du commerce, entre Georges Lapassade, et les connaisseurs du Malhoun de la ville. La réunion était provoquée par Georges qui enquêtait alors sur Ben Sghir, le chantre du malhoun souiri. A l’origine de cette enquête, un article où Hachmaoui et Lakhdar, résumaient la qasida de Lafjar (l’aube) de Ben Sghir sans donner le texte. Après cette réunion à la chambre du commerce, Georges m’embarqua dans l’enquête sur les traditions musicales d’Essaouira et de la région qu’il menait à l’issue du festival d’Essaouira (1981). Une fois à Paris il me faxa ce qui suit à propos de l’article controversé sur le malhoun :

« Ce qui choquait mon esprit de cartésien, y écrivait-il, c’est que nous avons découvert que le cahier d’un certain Saddiki (grand’père du prof. d’histoire du même nom) qu’il avait exposé au Musée et « commenté » était daté en réalité de 1920, et non de 1870 comme ils prétendaient, tirant argument de cela et du contenu du cahier, pour inventer une sorte de pléiade poétique souirie qui aurait eu pour mécène vers 1870, à Essaouira, Moulay Abderrahman ! C’est cela que je contestais beaucoup plus que l’origine souirie de B.Sghir. En effet, ce cahier contenait des qasida diverses, recueillies (peut-être) par le grand’père Saddiki au cours de ses voyages à Marrakech qui du coup devenait souiri ! Etant donné l’impossibilité d’avancer à Essaouira, j’ai fini par me décider d’aller consulter à Marrakech Maître Chlyeh, animateur d’une sorte d’Académie du malhoun. Il m’a fort bien reçu, bien informé et je crois (sans en être sûr) que la version de Lafjar que j’ai ensuite diffusé à Essaouira venait de lui »

Toute la démarche de l’enquête ethnographique de Georges Lapassade réside dans ce texte : alors qu’il demandait des informations sur Ben Sghir, au bazariste Ben Miloud, celui-ci était assis sur un vieux coffre qui contenait plein de qasida, dont celles de Ben Sghir ! C’est pour contourner cette rétention d’informations, ces réticences locales qu’il se voyait obligé de se rendre à Marrakech pour obtenir la fameuse qasida de Lafjar (l’aube) !



L’enquête pourrait durer des années, chaque été il revenait à la charge avec son obsession de chercheur et son doute cartésien pour reposer encore et toujours l’énigme Ben Sghir. Il soulevait d’autres lièvres qu’il problématisait à souhait alors même qu’on croyait avoir affaire à des évidences : le sultan Sidi Mohamed Ben Abdellah avait fondé le port et l’ancienne kasbah et non pas toute la médina comme on le croyait auparavant. Le plan établi par Théodore Cornut en 1767 est là pour prouver que Georges avait raison. Au XVIII ème siècle, en dehors de la Kasbah, les gens habitaient sous des tentes et dans les casemates qui donnaient à Essaouira un visage militaire, à côté du quartier administratif.

De même l’emplacement du Castello Real des Portugais se trouvait d’après une ancienne carte établie par Lambrecht, au port et non pas à l’embouchure de l’oued Ksob où se trouve borj el baroud. Cette erreur a été souvent commise concernant l’emplacement exact de la forteresse. On donnait, comme ruine de l’ancien fort portugais, un bastion rond situé dans les dunes, auprès de l’ancienne embouchure du Ksob, non loin du palais ensablé bâti au XVIII ème siècle par Sidi Mohamed Ben Abdellah. Ce fort n’a rien de portugais, affirmait Georges à juste raison. Il s’agit simplement d’une batterie construite, elle aussi, par le sultan. Toute sa démarche en matière d’enquêtes ethnographique est fondée sur ce doute cartésien, cette remise en cause permanente des évidences à la Ptolémée.

Pour ne pas « bronzer idiot » sur la plage d’Essaouira, Georges aura à résoudre une autre « énigme », qui relève cette fois-ci du Maroc antique. Jusqu’en 1950, on pensait que les Phéniciens et les Romains n’avaient peut-être pas dépassé le Nord du Maroc, alors que du côté de Luxus et Volubilis on avait les preuves évidentes de leur présence, il n’y avait rien de semblable au Sud jusqu’au jour où des enseignants, MM Desjacques et koeberlé allaient entreprendre des fouilles systématiques dans l’île de Mogador, qui prouvent que le monde antique allait en réalité beaucoup plus au sud que le fameux limes, plus exactement jusqu’à l’île de Mogador qu’on peut identifier à la mythique Cerné qu’évoque le périple d’Hannon . En 1985, Georges Lapassade profite du passage dans la ville de Desjacque et de sa femme pour les interroger à ce sujet, et publie le résultat de cet entretien sous le titre : « la petite histoire d’une grande découverte » :

« En 1950 Desjacques et Koeberlé enseignants à Mogador, consacraient leurs loisirs à la recherche des silex taillés de l’époque préhistorique. Cette recherche les conduisit dans l’île d’Essaouira où ils trouvèrent dans le sable des fragments de poterie, des pièces de monnaie. Des fouilles plus systématiques furent entreprises aussitôt. En creusant assez profondément du côté de la plage de l’île, sur le « tertre » on a mis à jour une couche phénicienne, la plus profonde, et des couches plus récentes en particulier celle des Romains du temps de JubaII. La petite histoire de cette recherche nous était jusque là inconnue. Desjacques nous l’a racontée, la voici :

- Comme il était interdit, raconte Desjacques, de chasser sur le continent en période de fermeture, la société de chasse locale Saint Hubert élevait des lapins dans l’île. Les lapins avaient brouté l’herbe et mis à nu le sol. Par le vent qui emportait le sable, par érosion, les pièces antiques étaient visibles à la surface du sol.

Mais il fallait pour éclairer la première découverte faite dans l’île une référence que Desjacques et Koeberlé connaissaient bien : le court récit dit du « périple de Hannon », sauvé de la destruction de Carthage dit-on, par un copiste grec. Ce document décrit le parcourt du navigateur chargé de retrouver et fixer les étapes d’un parcours maritime. Le contenu du texte interprété donna à Desjacques et Koeberlé la conviction d’avoir mis à jour la preuve d’une étape phénicienne dans l’Atlantique peut être Cerné « où nous fondâmes une colonie » écrit l’auteur du périple d’Hannon. Ils organisèrent alors un petit Musée pour leurs élèves et pour la ville à la Sqala :

- C’était une pièce minuscule qui abritait tout ce que nous ramenions de l’île : les débris de vases, les pièces de monnaies. Raconte Desjacques.

Les pièces sont maintenant au Musée d’archéologie de Rabat. Desjacques et sa femme vont séjourner en vacances chez des amis qui habitent à Agadir :

- Nos amis, demeuraient près du rivage de l’Océan, raconte Odette Desjacques. Un jour de grandes marées, à l’heure où la mer était retirée loin de la côte, j’ai vu des femmes ramasser des coquillages dans les rochers. Elles cassaient les coquilles, les broyaient, les lavaient à l’eau de mer et conservaient dans de grands couffins, la partie comestible. Je me suis approchée d’elles, et j’ai remarqué alors que leurs mains étaient violettes. Or nous parlions souvent, à Mogador, avec mon mari et Koeberlé de la fameuse pourpre de Gétules pour laquelle les Romains avaient installé dans l’île des « fabriques ». On ne savait pas comment la teinture était fabriquée. Et voilà que ces femmes d’Agadir nous apportaient la solution de l’énigme ! Je me souviens que nous avons mis quelques coquillages brisés dans un tissu de coton blanc qui a toujours gardé la couleur...Il y avait, dans le coquillage, une glande jaune au moment où on la recueillait en cassant la coquille. Puis la couleur changeait au soleil et devenait verdâtre, puis violette, plus précisément « pourpre »....Nous avons apporté quelques coquillages vivants à Mogador, nous les avons déposé dans les rochers à la « plage de Safi » pour essayer de les faire reproduire. Mais le sable les a recouvert. Or sur cette même plage, nous avons trouvé des coquillages pour être précis, les purpurae haemastomae, vides avec un trou dans la coquille. C’est par cet article qu’on extrait la précieuse glande. On pourrait probablement en trouver encore aujourd’hui au même endroit. Nous en avons fait identifier, à Paris au Muséum, les résultats ont été probants.



Le site de l’île comme lieu de fouilles a été trouvé on l’a vu, par hasard alors qu’on y cherchait des silex taillés...Le succès de cette recherche devrait inciter nos archéologues marocains à rechercher d’autres traces d’antiquité sur le littoral. » Concluait Georges qui ne croyait pas si bien dire, puisque récemment encore, des marins ont pris dans leurs fillets , deux amphores antiques, tout à fait intactes, recouvertes seulement d’algues et de coquillages...

Lors de ses séjours à Essaouira, Georges aimait souvent se rendre à ce borj el baroud lieu de ralliement du mouvement hippie dans le sillage duquel il avait découvert pour la première fois Essaouira en 1968 avec le Living Théâtre :

« 19 h 30. La sirène du ramadan a hurlé, ce soir pour la première fois. Il fait presque nuit. Tristesse maintenant sur la ville déserte. Je retrouve l’angoisse de l’année dernière. Les lumières de la rue s’allument lentement....Le soleil s’est levé tard ce matin. Il faisait froid, un petit vent mauvais courait sur la plage, au ras du sable, jusqu’aux grandes dunes qui entourent, là-bas, le borj el baroud. Il m’a semblé tout à l’heure que j’allais enfin me décider à écrire le récit chronologique de mon enfance, puis de ma jeunesse, jusqu’à mon départ définitif d’Arbus et mon installation à Paris. J’ai cru que j’avais retrouver le courage nécessaire pour me lever à des heures fixes et travailler. J’étais convaincu que ce moment tant attendu était enfin arrivé, après une longue attente. La chaleur de l’été est enfin revenue. J’ai retrouvé ma chambre d’autrefois inondée de soleil tout le jour. Je peux contempler le mouvement incessant des bateaux dans la baie, et dans le port. Hier j’avais décidé d’écrire le récit de mon enfance. Mais je ne trouve que des bribes de souvenirs. Je ne sais comment les souvenirs arrivent à ce moment-là, ni pourquoi tel souvenir plutôt que tel autre...La journée sera chaude comme hier, j’irai à la plage, je marcherai jusqu’au borj el baroud, j’irai m’étendre dans les dunes. Je reprends goût à la vie. Je n’ai plus envie de travailler, je dois faire un assez grand effort pour écrire seulement quelques lignes chaque jour. »

De cette période hippie où Georges encore dans la force de l’âge est arrivé à Essaouira avec sa pipe et ses fréquentations assidues à Bijou-bar, restent des réminiscences : « L’autre jour, j’avais fumé un peu d’herbe, assez pour ne pas tenir debout tout à fait. Je me suis allongé sur une banquette au café hippie, et Majid, qu’ils appellent Speed, m’a interpellé ; je l’ai regardé, et j’ai vu en même temps, sous le masque de son rire, un autre visage, plus sombre, fermé, immensément triste, comme on voit chez les Grecs, le masque des rires avec le masque des pleurs. Et cet autre visage qui est toujours derrière les mouvements de la vie, c’est déjà, j’en suis persuadé, le visage de notre mort.

- Et si tu mourrais maintenant, dit Mourad. Si tu devais dire ce que tu regrettes de n’avoir pas fait dans ta vie, qu’est-ce que tu pourrais répondre ?

J’ai répondu que je n’avais pas de réponse. J’en avais une pourtant : que mon seul regret serait d’avoir manqué ma vie à force de penser à la mort, de n’avoir pas vécu chaque instant de ma vie comme un moment possible de bonheur. »

Pourtant nous avons connu des moments de bonheur, au printemps des Regraga, lors de nos dérives communes à la vallée d’ Aïn Lahjar (la source de pierre). C’est là qu’on avait découvert ensemble, lui et moi, « la fiancée pétrifiée » du Sahel, et le concept de faïd comme débordement de l’eau et de la baraka. Un jour on est même partis ensemble, en autocar jusqu’à la vallée heureuse de Tlit, entre le mont Tama et le mont Amsiten, en pays Haha, pour enquêter sur le chant des moissonneurs. Mon oncle maternel nous reçu alors avec le cérémoniel du thé, avec des amandes, et des galettes de seigle, à tremper dans l’huile d’argan et le miel de thym . Mon oncle maternel disait alors à ce Béarnais que je croyais parisien et qui a toujours gardé une âme paysanne lui venant de son enfance passée dans ces « Pyrénées-Atlantiques », comme on les appelle si joliment en France. Mon oncle donc disait à Georges :

« Le poète et la hotte sont semblables, personne n’en veut

s’il n’y a pas de pluie et donc de récolte. ».

Et Georges qui avait aidé jadis son père à la scierie dans la forêt béarnaise comprenait parfaitement ce langage et en avait même la nostalgie. En lisant maintenant son Autobiographe, je comprends à quel point son intérêt pour notre culture était sincère, car tant d’affinités électives reliaient secrètement les traits culturels de son Béarn natal au mouillage d’Amogdoul où chaque été il jetait l’ancre pour écrire : « Dans le temps du carnaval, entre le premier de l’an et Mardi-gras, nous allions danser chaque dimanche dans le quiller de l’estanguet, sur la terre battue. Les musiciens s’installaient sur un petit balcon de planches, pour jouer des marches et des javas, avec quelques guigues et quelques sauts basques. D’autres souvenirs reviennent : le jardin de l’école, les grilles rouillées du portail. Un phono avec des disques ébréchés dans un placard. Ce vieux phonographe, posé sur une petite table dans la salle à manger de ma grand-mère, remplaçait un phonographe plus ancien muni d’un grand haut-parleur en entonnoir qui traînait dans le grenier au milieu des toiles d’araignées. »




De là, me semble-t-il, sa passion pour le carnaval d’Essaouira, cette compétition chantée, ce charivari, qui opposait jadis, à chaque Nouvel An, les deux clans de la ville et surtout le couplet du rzoun de l’Achoura relatif au phonographe :

« Permettez-moi donc d’avouer

Les soucis qui m’oppressent

Et si je meurs, que personne ne me pleure

Mais quel est votre chef ô Chebanate ?

Osman à la tête bossue

Et à la bedaine serrée d’une cordelette ?

Et qui est votre chef Ô Béni Antar ?

Ali Warsas traînant au port son chien

Éternellement sur son âne ?

Pourquoi donc avez-vous remplacé,

Les chanteurs du malhoun par le phonographe ? »

C’est lui qui, le premier, par ses nombreux articles, avait vulgarisé l’idée selon laquelle « Essaouira est la ville des Gnaoua ». Il avait longtemps enquêté sur leurs rites de possession, sur ceux des gens de l’ombre, ces Hamadcha et ces Aïssaoua, ces musique sacrées auxquelles on avait consacré tout le colloque du premier festival et dont les actes ont été publiés dans le deuxième numéro de la revue Transit de Paris-VIII, tandis que le premier numéro avait été consacré aux chants profanes intitulés Paroles d’Essaouira.

Le spectateur du rite nocturne de possession, fasciné par ce « spectacle » de transe « habitée », est avant tout sensible au jeu musical de ses animateurs. Il est tenté alors, de conclure que chez les Gnaoua, ce sont les musiciens qui sont les maîtres du jeu. En réalité nous dit Georges Lapassade, ici, comme dans tous les rites de possession, la gestion de la situation est assurée par les prêtresses du culte. Et ici comme ailleurs, les femmes, parce qu’elles sont tenues en marge de la religion des hommes, se sont donné secrètement une autre « religion » : la religion des femmes.

Là encore, afin d’expliquer son intérêt pour les ethnométhodes de guérison par l’induction de transe, on retrouve cette lointaine empreinte de la prime enfance : « Ma grand-mère savait tirer les cartes et j’ai été incité par son exemple, lorsque j’avais douze ans, à m’initier à la cartomancie et même à la pratiquer. Cela créait une atmosphère, et je peux ainsi aujourd’hui comprendre assez facilement les croyances des gens, au Brésil et au Maroc, autour des pratiques de la voyance et de la possession. Mon initiation précoce a déterminé mon intérêt persistant pour les pratiques ésotériques. »

Au mois de mai 1986 sous le titre « voyage au pays de la magie : Talisman et divination à Essaouira », il publie à SINDBAD,les résultats d’une enquête qu’il avait mené avec Boujamaâ Lakhdar sur la magie: Après l’enquête chez les tolba sur la talismanique et ses sources livresques (les livres jaunes de la magie, élaborés et publiés au moyen âge, inspirés d’une grande tradition occulte, El Bouni et Damyati pour le monde arabo-musulman, au 12ème siècle, et AGRIPPA d’Aubigné pour le monde occidental, au 16ème siècle) ils ont procédé à une autre enquête sur les traditions orales de divination chez les choufate :

« Notre promenade éthnologique à Essaouira à la recherche des pratiques magiques s’est effectuée à plusieurs niveaux et en plusieurs étapes : on a d’abord inventorié quelques liasses de documents de tolba existant au Musée. On a ensuite procédé à une enquête auprès de quelques tolba en exercice auxquels on a demandé de fabriquer des herz et de parler de leurs pratiques. On a enfin rencontré quelques voyantes..Contrairement aux taleb, les voyantes en tant que femmes ne peuvent pas se rattacher aux « textes » ni utiliser l’écriture pour fabriquer des talismans. Les femmes qui fabriquent des objets magiques, kammoussa, ne sont pas appelées voyante mais saharate (sorcières). Les voyantes ne fabriquent pas d’objets magiques. Elle pratique surtout la devination et elles ont un rôle thérapeutique. Elles trouvent souvent leur vocation à travers une maladie (possession) et elles entrent en transe pour faire leur divination. »

Dix ans plus tard, en 1996, la dernière enquête de Georges à Essaouira a porté sur les talaâ, ces voyantes médiumniques, ces prêtresses des Gnaoua qui pratiquent la divination en état de transe.

Entre Essaouira et Pau, les Pyrénées-Atlantiques et le Haut-Atlas occidental, ces mêmes saveurs sont transversales à l’écriture, à la mort et à la nostalgie des origines : « Tout à l’heure on égorgeait des poulets dans la rue, près de Bab Doukkala. Le sang coulait dans les seaux, il débordait sur le trottoir. Au milieu de la cour intérieure du sanctuaire des poules rouges égorgées baignaient dans le sang. Je ne me suis pas attardé. J’ai regardé juste en passant, je supportais mal ce spectacle. Et soudain, alors que j’écris ces lignes, un souvenir me revient : je suis étendu sur la table de la salle à manger transformée en salle d’opération, j’ai onze ans, je hurle, on recoud des chairs à vif. L’année suivante, on m’opère d’un phimosis, mais cette fois c’est à Pau, dans une clinique. C’est à ce moment-là que j’ai été blessé pour la vie, livré à l’angoisse et à la peur de la mort. Lorsque ma mère est morte, j’ai refusé de la voir, comme l’exige la coutume. J’ai retenu mes larmes pendant l’enterrement ; c’était une journée froide de février, avec un soleil pâle sur la neige. La veille de l’enterrement, je me suis enfermé dans ma chambre, chez ma grand-mère, et j’ai écrit pour ne pas y penser. Après l’enterrement, j’ai marché dans la plaine, dans les salines, au milieu des arbres morts de l’hiver. J’ai marché dans nos champs, j’enfonçais mes souliers dans notre terre noire. Et, là, j’ai pleuré, parce que j’étais seul. »

Cette angoisse du départ, qui préfigure d’une manière symbolique, ce départ pour toujours qu’est la mort, Georges l’a toujours ressenti à chaque fois qu’il devait quitter Essaouira pour se rendre à Paris à la fin de l’été, comme une mort symbolique et une nouvelle naissance : la fin de l’écriture d’été et la naissance d’une nouvelle oeuvre.

C’est en cette période de « transition » et de « transit » que nous envoyons pour publication nos articles sur « la musique comme fait social », « le mouvement folk de Nass El Ghiouane », « l’empire des signes », « les marqueteurs d’Essaouira », ou « le printemps des Regraga ». Il s’agissait de défendre la vitalité de la culture populaire contre la muséification qui la guette. Dans ces articles Georges s’élevait contre ce qu’il appelait la folklorisation qui est à ses yeux une muséification de la vie : Comme dans un musée, on a une espèce d’épouvantail à moineaux à la place d’un être vivant qui portait jadis un costume. De la même manière la musique locale est dévitalisée par sa folklorisation.

Le Musée ethnographique des traditions populaires d’Essaouira, que dirigeait alors feu Boujamaâ Lakhdar était transformé par Georges en un département d’ethnographie et, en même temps, en un lieu de rencontres culturelles intense. Cette hyperactivité intellectuelle, symbolisée par le cliquetis incessant de sa machine à écrire, qui emplissait la voûte du musée du matin au soir, suscitait des admirations envieuses par sa vitalité créatrice, faisait oublier à Georges pour un temps son angoisse native du départ vers cet ailleurs qui peut être la mort. Mais dés que l’heure du départ effectif s’approche, la fébrilité resurgit à nouveau de sa tanière et ressaisit sa personne comme un djinn possesseur de l’écriture : «Je ne peux rien contre l’angoisse du départ, contre cette souffrance que je traînerai avec moi probablement aussi longtemps que j’écrirai... La nuit sera chaude. Un vent léger secoue les palmiers devant l’hôtel. Mais le grand arbre reste immobile. Seule l’étoile du berger brûle au milieu du ciel. Une musique lointaine troue le silence. L’été va mourir, peut-être cette nuit. Mais je voudrais qu’il s’éternise. Qu’importe les livre si rien ne peut empêcher la mort de l’été. Mes étés sont comptés déjà. Tout ce qui me le rappelle, tous ces signes accroissent ma douleur. Mais le commencement de l’été ramène chaque année l’illusion que la vie recommence... »

Lapassade poursuivait : « La fin de l’été approche. Je pourrai maintenant retourner à Paris, et puis peut-être retourner à Pau et, là, me mettre vraiment au travail. Je repasserai par tous les lieux où j’ai vécu quand j’étais enfant, j’interrogerais Lalie, la sœur de ma mère, elle se souvient de tout, elle aime raconter des histoires. Il suffira ensuite de transcrire – et mon livre sera fait, il se fera tout seul. Ce matin, je n’ai même pas le courage d’aller jusqu’au marché, je n’achèterai pas les légumes pour préparer mon repas de midi...

Guy, ce soir, va m’aider, comme l’année dernière, à quitter cette ville. Arrive Boujamaa. Il est inquiet, il s’interroge :

- Mais qu’est-ce que tu as fait pendant ces deux jours, personne ne t’a rencontré dans la ville.

- Rien. J’ai un peu écrit, quelques pages seulement. Et puis j’ai attendu Guy. Demain, nous partirons ensemble.

Maintenant le temps est gris avec, par intermittence, un soleil pâle :

- Ça sent l’hiver, dit Boujamaa, il est temps de partir.

Je suis rentré à l’hôtel tout à l’heure. J’ai mis dans des sacs en papier le camping-gaz, les verres, les assiettes et j’ai tout laissé à Fatima. Elle gardera mes affaires jusqu’à mon retour. J’ai payé ma dernière note d’hôtel. J’ai dédicacé à Kamal un exemplaire de L’essai sur la transe. Je suis allé au café glacier pour le dernier adieu à Saïd. Les oiseaux volent plus vite dans le ciel, comme des nuées de cendre emportées par le vent. Neige blanche des mouettes autour d’un sardinier qui rentre au port. Les contrevents de l’hôtel claquent contre les murs. Les départs me dépriment toujours. Je vais partir. Je vais laisser ici ceux que j’aime. »

Quand on s’éloigne d’Essaouira, c’est toujours sous forme de mouette qu’on la retrouve ! Leur envol au crépuscule, leur envol au ras des vagues et au-dessus des mâts, sont la réincarnation des légendes et des mythologies marines , comme le souligne si bien Moubarek Raji, le jeune poète arabophone contemporain de la ville :



« Les mouettes sont des vagues qui prennent leur envol

Et les vagues, des mouettes qui grondent

Quand on brise une vague

Une aile vous pénètre profondément

Et quand on brise une aile

Une vague vous pénètre profondément

Ecoutez les trois mouettes briser leurs oeufs

Comme si la mer surgissait du sable pour la première fois

Avec comme notes musicales : l’éclosion d’œufs de mouettes »



Pour ce poète comme pour le magicien de la terre qu’était Boujamaâ Lakhdar, une mouette n’est pas une mouette, elle est pour l’artiste peintre le symbole même de la ville. Le dernier tableau peint par Boujamaâ Lakhdar, avant sa disparition en 1989, représentait une mouette fantastique portant sur ses ailes les signes et les symboles magiques de la ville. Georges Lapassade était l’une des figures emblématiques de la ville, l’un de ses principaux auteurs, son regard fut un limpide miroir pour la mémoire de la ville. Un de ces oiseaux marins au regard perçant survolant les rivages de pourpre. C’est toujours sous la forme d’une mouette que nous rendent visite nos chers disparus.

L’un des enseignements fondamentaux que j’ai reçus de Georges Lapassade, en menant ensemble notre enquête sur la parole d’Essaouira au début des années 1980, c’est non seulement l’obligation de tenir une sorte de compte-rendu sur les apprentissages de chaque jour, mais surtout la vertu pédagogique du compte-rendu : au retour de mon pèlerinage chez les Regraga, il venait chaque soir m’écouter ; en lui racontant ce qui s’est passé, je me rendais compte que mon subconscient avait enregistré des faits pertinents à mon insu. Mais sans son écoute attentive, je n’aurais certainement pas produit telle ou telle idée intéressante, comme faire le lien avec la « théorie du don » de Mauss, « l’éternel retour » de Nietzsche, ou « l’observation participante » de Malinowski : on produit autant par soi-même que par l’écoute amicale de l’autre. Comme me le disait si bien mon ami Georges Lapassade : dans ton cerveau et dans le mien, il n’y a que de l’eau ; la véritable étincelle jaillit dans l’interaction entre les deux cerveaux. C’est du dialogue que naît la lumière…J’ai peur qu’avec sa mort ne soit enterrée la Parole d’Essaouira, qu’il avait su avec talent sortir des limbes de l’oubli.



Abdelkader MANA

Ma rencontre avec Georges Lapassade



Par Abdelkader Mana

Fonte : http://rivagesdessaouira.hautetfort.com/archive/2009/07/07/g.html#more
17.11.2009

Ma première rencontre avec Georges Lapassade remonte à la période où il enquêtait sur Ben Sghir pour répondre à une double commande : celle du caïd Bassou de la division économique et sociale de la province d’Essaouira, qui voulait publier les travaux du colloque de musicologie (1980-1981)dont les actes sont parus par la suite dans la revue Transit de Paris-VIII, sous le titre Paroles d’Essaouira. Il s’agissait aussi de répondre à la demande de son ami Dominique Bedou, petit éditeur de poésie qui voulait publier un recueil sur la poésie d’Essaouira en tant que « carrefour culturel ».

J’enseignais alors au Lycée Akenssous de la ville. Un jour, au tout début des années 1980, le proviseur m’invita à une réunion prévue vers 16 heures à la Chambre du commerce, entre Georges Lapassade, et les connaisseurs du Malhoun de la ville. La réunion était provoquée par Georges qui enquêtait alors sur Ben Sghir. Il comptait ainsi sur la dynamique du groupe pour faire avancer sa recherche.

A l’origine de cette enquête, un article où Hachmaoui et Lakhdar, résumaient la qasida de Lafjar (l’aube) de Ben Sghir sans donner le texte. C’est après cette réunion que Georges m’embarqua dans l’enquête sur les traditions poétiques et musicales d’Essaouira et sa région qu’il menait à l’issue du premier festival d’Essaouira « la musique d’abord » (1981-82). Une fois à Paris il me faxa ce qui suit :

« Ce qui choquait mon esprit de cartésien, y écrivait-il, c’est que nous avons découvert que le cahier d’un certain Saddiki (grand’père du prof. d’histoire du même nom) qu’il avait exposé au Musée et « commenté » était daté en réalité de 1920, et non de 1870 comme ils prétendaient, tirant argument de cela et du contenu du cahier, pour inventer une sorte de pléiade poétique souirie qui aurait eu pour mécène vers 1870, à Essaouira, Moulay Abderrahman ! C’est cela que je contestais beaucoup plus que l’origine souirie de B.Sghir. En effet, ce cahier contenait des qasidas diverses, recueillies (peut-être) par le grand-père Saddiki au cours de ses voyages à Marrakech qui du coup devenait souiri ! Etant donné l’impossibilité d’avancer à Essaouira, j’ai fini par me décider d’aller consulter à Marrakech Maître Chlyeh, animateur d’une sorte d’Académie du malhoun. Il m’a fort bien reçu, bien informé et je crois (sans en être sûr) que la version de Lafjar que j’ai ensuite diffusé à Essaouira venait de lui »

Toute la démarche de l’enquête ethnographique de Georges Lapassade réside dans ce texte : alors qu’il demandait des informations sur Ben Sghir, au bazariste Ben Miloud, celui-ci était assis sur un vieux coffre qui contenait plein de qasida, dont celles de Ben Sghir ! C’est pour contourner cette rétention d’informations, ces réticences locales qu’il se voyait obligé de se rendre à Marrakech pour obtenir la fameuse qasida de Lafjar (l’aube) ! Lors de cette enquête sur les paroles oubliées d’Essaouira, Ghorba le cordonnier d’Essaouira, refusait lui aussi de transmettre le contenu de sa « khazna »[1] à Georges Lapassade jusqu’au jour où après sa mort, sa vétuste boutique de cordonnier s’effondra engloutissant à jamais sous les décombre, tout le trésor poétique qu’il conservait si jalousement.

« Lafjar » (l’aube)
De Mohamed Ben Sghir

En participant ce printemps 2009 à Essaouira au colloque de musicologie de la deuxième édition du festival du Malhûn, les musiciens de la ville m’ont parlé d’une seconde mort de Ben Sghir avec la disparition de Georges Lapassade, son découvreur. C’était une flamme qui s’était éteinte. C’est à Georges Lapassade en effet, que revient, le mérite d’exhumer et de diffuser « Lafjar » (l’aube), la qasida de Mohamed Ben Sghir, le poète du melhûn d’Essaouira, qu’on avait retrouvée dans un cahier daté de 1920 :

Vois le ciel au-dessus de la terre, source de lumière
Les habitants de la terre ne peuvent l’atteindre
Vois Mars, toi qui es indifférent
Sa beauté apparaît au monde clairement
Vois Mercure qui vient à toi, ô voyageur
Au dessus du globe, de l’ignorance étonnante
Vois Neptune qui illumine les déserts
Il a mis dans la création, le riche qui a tout.
Vois Saturne qui vient visiblement vers toi
Au-dessus des sept du secret parfait
Guerre des hommes, ô toi qui dort,
Vois le mouvement des astres
Ils ont éclairé de leur lumière éclatante, les ignorants.
Et sache la vérité si tu veux être pur
Lafjar (l’aube) qui t’advient d’une science illuminée
Prends ô toi qui m’écoutes Yabriz et Nikir
Celui qui règne sur le plus rusé des loups
Celui qui répond très vite au défi
Doit protéger les fauves
Est-ce que le hérisson peut aller à la guerre contre l’ogre ?
On connaît l’aigle parmi les faucons
Il craint le moindre bruit et les fauves au sommet des montagnes
En passant par les grottes Bendir Telemsani et son beau cortège
Dites à celui qui n’est ni faible ni vantard
Que Mohamed Ben Sghir est une épée dégainée.
Le mercredi 13 mai 2009, j’écris à Céline Cronnier :
Je suis depuis quelques jours à Essaouira pour participer au colloque sur le Malhûn - une tradition instituée par Georges au festival de 1980. Je participe par une communication sur le poète Ben Sghir, "une énigme" sur laquelle Georges avait enquêté à Essaouira pendant de nombreux étés.
Je vous écris sans accent; parce que le clavier n’en contient pas; mais aussi parce que je n’en n’ai pas pour raison d’émotion: au colloque sur le malhûn, tout le monde était stupéfié par la beauté céleste d’aurore de Ben Sghir que Georges avait aidé à exhumer et à traduire! Les autres intervenants qui ont utilise la "langue du malhûn" entaient inaudibles et sans voix parce qu’ ils ont parlé dans une langue morte et inusitée depuis longtemps: seuls les chanteuses lui rendent vie; arrivent à en communiquer le sens oublie: c est donc Georges qui avait rendu vie à Ben Sghir en le faisant traduire en une langue vivante et moderne comme le français! Il faut que les gens comprennent que les manuscrits du malhun _ que les khazzanes(leur conservateurs) tiennent jalousement dans leurs counnaches (cahiers dissimules dans de vieux coffres) sont les seuls inities capables d’en déchiffrer le sens: Georges avait donc aidé à faire parler un poème cosmique écrit dans une langue morte; lui qui est féru de Paul Valery : il était capable de me réciter de long poèmes de ce fiévreux penseur français tout le long de la plage...

C'est incroyable ! Me répond Céline Cronnier, le même jour. Ce qui est incroyable ? Cette "énigme", dont vous me parlez, j'en prenais connaissance tout juste hier ! Hier que vous étiez à reprendre le fil de l'enquête là où Georges l'avait laissé...Oui, hier en effet, j'étais à lire le "Journal de la réforme des DEUG", tenu par Georges de septembre 1984 à juillet 1985... Soudain, un passage fort me frappe... suffisamment pour que j'en rêve dans mon sommeil...
"27 février. Hier soir, en rentrant à Paris, je réfléchissais à la "recherche". Je ne me sens autorisé à faire usage de cette expression que pour désigner mon enquête d'Essaouira sur la chanson, en 1981. Ce n'était certes pas une "recherche scientifique" : je n'avais aucune compétence pour engager une telle recherche, je ne connaissais ni le vieux dialecte poétique local, ni sa graphie. Je ne connaissais rien non plus en matière de chant andalou, ni les formes, ni les rimes, ni les thèmes consacrés.
C'était pourtant une recherche : recherche d'un poème perdu, "Lafjar", de Mohamed Ben Sghir, tout en sachant déjà que lorsque je l'aurais retrouvé, je serais incapable de le lire, de le traduire, de le comprendre. Plus j'avançais dans mon enquête, plus les portes se fermaient, plus les gens devenaient hostiles, plus ils mentaient et brouillaient les pistes. Et plus je devenais obsédé, par le fantôme de Ben Sghir : ce poème perdu me fascinait par son absence, par sa perte (alors qu'il se trouvait, mais je l'ai su trop tard, dans le coffre d'un antiquaire chez qui j'allais chaque jour pour le supplier de m'aider à recomposer ce poème perdu.)
Il y avait là quelque chose d'excessivement douloureux, comme une "obsession" au sens fait à ce mot par les théologiens de l'exorcisme. Cette douleur naissait de l'obsession elle-même, de ce fantôme de poète oublié qui me fait courir, dans l'hostilité grandissante de la ville ; j'aimais cette ville et je croyais en être aimé. Mais mon enquête me montrait jour après jour, qu'elle ne m'aimait pas, et qu'elle n'aimait pas non plus son passé, ses poètes. Tout cela lui était indifférent."
J'ai passé la nuit à errer, à rechercher avec angoisse ce Mohadmed Ben Sghir dont j'ignore tout. et voilà qu'aujourd'hui, qu'à peine sortie de mon errance, vous m'écrivez son nom !

J’ai maintenant les mêmes problèmes de traduction avec les chants des femmes(les haddarates) que jadis avec les chants oubliés du malhûn, mais je suis tellement content de retrouver en plus complets leurs chants de mariage dont j’avais recueilli des lambeaux à l’aube des années 1980; lors de ma première rencontre avec Georges où ce dernier m’avait embarqué à son enquête sur la "Parole d’Essaouira' (en tant que parole sociale s’entend). Je me rends compte maintenant à quel point mon enquête d’alors était larvaire; mais je suis content de voir a nouveau fonctionner le dispositif de recherche que Georges avait installe il y a déjà si longtemps. Non seulement cela, mais cette enquête ressuscitée m’a permis de retrouver vivace les souvenirs de Rbatia une amie de ma mère; morte il y a déjà fort longtemps - au milieu des années 1970- que j’aimais beaucoup et dont l’image me hante toute ma vie sans savoir pourquoi ? Or hier les haddarates m’ont appris que ce fut une des figures emblématiques qui ont émaillé leur histoire secrète et qu’en plus, elle était sage-femme. Je suis maintenant convaincu que c’est elle qui avait aidée ma mère à me mettre au monde! Elle était en fait ma seconde mère et je la chérissais pour cette raison sans le savoir...Cette en- quête s’est révélée comme une nouvelle naissance pour ma propre mémoire; une sorte de re-naissance de Rbatia; de ma mère; de Geeorges; mais aussi de ma mère nous apportons à moi et à Georges le thé et les gâteaux lorsqu’au salon de chez nous il m’aidait à mettre en forme mes contributions à son enquête.
Selon Rabiâ haïl, dont le grand père maternel, Ba-Zaïd, était le moqadem des Aïssaoua d’Essaouira dans les années 1950 :
« Rbatia était la grand-mère de toute la ville. Elle était à la fois sage-femme et moqadma de la zaouïa du Hadi Ben Aïssa. Au Mouloud, on y organisait un moussem où se retrouvaient les Aïssaoua et où étaient également conviés les Hamadcha.. Après le sacrifice, on offrait tête et tripes à la moqadma. Au troisième jour des festivités, arrivaient les haddarates. C’était la moqadma qui organisait la hadhra. »
Cette enquête s’est révélée comme une nouvelle naissance pour les" paroles oubliées d’Essaouira"...
Latifa Boumazzourh qui a maintenant 54 ans, se souvient encore, qu’à l’âge de quatre ou cinq ans, elle tenait le bendir recouvert de tissus de sa grand-mère , qu’elle accompagnait à la zaouïa des Aïssaoua où la hadhra se déroulait jusqu’à l’aube : elle me cite comme Haddara, entre autre la femme de Moulay Omar le célèbre hautboïste des Hamadcha, et Fatima Kit-kit, que j’ai connu au début des années quatre vingt lorsque j’enquêtais sur le chant des femmes, à l’instigation de Georges Lapassade. Elle résidait à derb adouar , une sombre impasse qu’évoquait le rzoun , le chant oublié de la ville :
Ô toi qui s’en vas vers Adouar
Emporte avec toi le Nouar
La rime est un jeu de mot entre « Adouar » (le nom de la sombre impasse supposée cacher les belles filles de la ville) et le « Nouar » (le bouquet de géranium et de basilic).. Au début des années cinquante, le souvenir était encore vivace du tournage d’Othello par Orson Welles à Mogador. Le soir on le voyait souvent méditer sur la grande place du syndicat d’initiative. Dans le film, on reconnaît surtout « Tik-Tik » avec son luth au pied des remparts de la Scala de la mer. Sa mère m’avait récité un chant de femme où il est dit :

Pourquoi je suis partie et pourquoi je revienne ?!
Aux pays lointains chacun me médit
Que le chemin est long, les chameaux sont fatigué
Mais mes pas continuent à le parcourir...

La qasida du Gnaoui

Lors de la soirée musicale, je découvre, la qasida du Gnaoui que je ne connaissais pas : Elle est ducheheïkh Thami Mdaghri (de Mdaghra au Sahara), qui a vécu( au 19ème siècle )de longues années à Fès et Marrakech : elle raconte l'histoire d'un Gnaoui à scarifications sur les joues qui tombe amoureux d’une gazelle et surtout qui tombe en transe par dépit amoureux La maladie d’amour comme possession par le bien-aimé auquel on aspire à s’unifier. Et pour le soigner, on fait appel entre autre à une voyante médiumnique !


Al harba (le refrain)
Ma bien-aimée me reproche mon état, sachant bien ce qui m’arrive
Mes joues sont scarifiées et les siens rayonnent
Elle me charme par son tempérament de feu et son grain de beauté.

Al qism al aoual( première partie) :

Qu’il est terrible le jour où les miens sont partis
Me laissant pleurant sur les ruines,
Que Dieu apaise les flammes de celui qu’abandonnent les siens
Ils ont décampé sur la trace des étoiles
Ah, si je pouvais accompagner le rubis scintillant de mille feux
Au désert mon cœur erre désormais seul derrière les mirages !
Perdu à jamais , s’il n’y avait ce tintement de cloche,
Ce chant, ces grands tambours et ces cymbales d’or !


Al qism al tâni (deuxième partie) :

Que ma désolation est grande, le jour où la caravane est partie
Derrière les lointaines rumeurs du désert
Le moindre bruit attise mes soupirs
Les gazelles errantes sont dispersées par le vent
Me trouvant perdu m’ont dit : « Qui es-tu ? »
« Esclave Gnaoui aux joues scarifiées sans remède pour son mal» leur dis-je
Sillons creusés sur mes joues, par le flot des larmes
Par amour, elles ont asservi , ma peau noire
A leur service, j’attiser les cendres éteintes
J’irrigue les champs assoiffés et j’ajuste la mesure
Je consolide l’encrage des tentes
Je redresse les étais de celles qui s’affalent
Elles se dirent alors : « Cet esclave est utile, pas si cher pour ce qu’il vaut »


Al qism al talet (troisième partie) :

Elles m’ont mis à prix en augmentant les enchères
Tirant au sort les bâtonnets sur le sable
Le mien a désigné une autre que celle que j’aime
J’en suis tombé en transe,
Ecumant par la bouche, sans prise sur mon état
Elles se dirent alors : « Celui-là est un possédé »


Al qism al rabiâ (quatrième partie) :

Ma maîtresse m’a rapproché d’elle
M’encensant de benjoin et de bois de cantal
C’est alors que le melk qui me possède s’adressa à elle
« Pour qu’il guérisse, il faut un sacrifice » lui dit-il.
Lui conseillant une voyante ou un homme-médecine
Ou encore un devin prescrivant les écritures
A elle mes secrets se dévoilèrent
Souriante, sur moi elle exhala son musc
Que Dieu me fasse de son parfum délivrance


Al qism al khamis (cinquième partie) :

A cause d’elle, j’ai oublié tout ce que j’ai appris
Et quand j’ai retrouvé mes esprits, elle l’a à nouveau ensorcelé
J’en suis tombé malade et rien ne peut m’en guérir

Le poète du malhûn était souvent considéré comme un mejdoub, et les connaisseurs du melhûn sont ses « adeptes », dans le sens où ils n’ont pas un simple rapport esthétique avec cette poésie, mais un rapport mystique proche de la possession rituelle. C’est une poésie ritualisée, me disait Abdelkébir Khatibi, qui considère Sidi Abderrahman el-Majdoub comme le meilleurs poète marocain jusqu’à maintenant. Vagabond mystique et poète, el – Mejdoub a vécu au XVIe siècle dans le Gharb. Ses pouvoirs magiques ainsi que ses quatrains, souvent caustiques, le rendirent célèbre. Parmi ses célèbres quatrains celui où il prédisait l’engloutissement de la ville sous le déluge :

« Essaouira périra par le déluge
Un vendredi ou un jour de fête,
Marrakech est un tagine brûlant,
Fès, une coupe transparente.... »

En guise de commentaire à ce quatrain, un pèlerin tourneur du printemps m’a dit un jour : « On raconte que le Mejdoub était fou. Mais tout ce qu’il disait arrivait. L’œil verra ce que l’oreille entend. On raconte qu’il était fou, mais il voyait avec « l’œil du cœur ». L’œil – la vision du Majdoub – n’est pas simple regard ; il est « l’œil du monde », comme disait Schopenhauer : « le pur connaître »...Il pratiquait donc la voyance en état de transe !

L’expérience de Sidi Boudhaab

Autant que faire se peut, Georges Lapassade pratiquait de l’observation participante auprès de ces confréries de la transe. Il provoquait même des « nuits bleues » pour contribuer à les observer, comme ce fut le cas pour les nuits bleues des Gnaoua à Essaouira(festival de 1980-1982) et au premier festival de Safi(1983), avec les nuits bleues de Sidi Boudhab (le marabout de l’or)..

Cette animation était comme un dispositif de visibilité selon l’expression des ethno-méthodologues ou encore un analyseur culturel. Pour comprendre la culture de Safi, il fallait l’organiser, y participer. Dans l’entretien paru par la suite à Maroc-Soir du lundi 1er septembre 1986, Georges Lapassade faisait le bilan de cette expérience en ces termes :

«Une expérience assez étonnante, me disait-il et qui vaut la peine d’être racontée. Nous avons obtenu, non sans peine de la Direction du Festival, qu’on organise chaque soir à Sidi Boudhab, à l’entrée de la vieille médina, après le spectacle donné dans le château de la mer, une nuit confrérique. Et très vite les difficultés se sont accumulées : on devait chaque soir, avec Abdelkader Mana, qui était invité au colloque, mais qui était avant tout militant de la culture populaire, on devait dis-je chaque soir balayer les poissons pourris qui jonchent la place que protège le marabout. Ensuite, nous devions transporter des nattes avec l’espoir que les gens viendraient s’asseoir selon la tradition de la lila. Hélas, le premier soir, la place était envahie dans une énorme confusion par les curieux. Mais nous n’avions pas à les faire asseoir. Nous avions oublié que Sidi Boudhab à Safi, est avant tout un haut lieu de la Halka, y compris celle des Gnaoua. Et les gens de Safi ne pouvaient pas comprendre immédiatement que les mêmes Gnaoua venaient maintenant à minuit pour tenter d’y instituer le rituel de la Derdeba avec ses transes et ses danses de possession. C’est seulement à la fin du festival, comme par miracle que les jeunes de la médina ont compris le projet et l’ont soutenu. Une immense Jedba animée par les Hmadcha s’est installée vers minuit sur la place de Sidi Boudhab.

Cette expérience rendait visible la permanence à Safi comme probablement ailleurs, d’une vieille culture de médina, dans laquelle la transe et le Soufisme populaire ont une part de choix. C’est ce qui explique d’ailleurs l’immense succès qu’ont connu dans le Maghreb, les « Jil » par exemple Nass El Ghiouan. J’ai retrouvé cela à Tunis, à Constantine où pourtant la vieille culture maghrébine semble moins vivante qu’au Maroc. Je l’ai aussi constaté à Casablanca après Safi. Là, à Casablanca, dans une vieille médina rétrécie, cette culture reste vivante et enracinée. Peut-être, faudrait-il décrire un jour cette culture de médina à Casablanca dans le contexte offensif de la modernité comme une contre-culture. Pour toutes ces raisons, je me réjouis de constater d’une année à l’autre, que le Festival de Safi continue. Mais ce qui me fait plaisir par-dessus tout, c’est de savoir qu’on a gardé dans le programme du festival, les nuits de Sidi Boudhab. »

Le 31 août 1983, je participe pour la première fois au moussem des hamadcha, en tenant sur les conseils de Georges Lapassade, un journal de route où je découvre en la décrivant la transe et ses adjuvants rituels. Le soir j’accompagnais ârabi ,le tambourinaire noir au yeux exorbitants en notant ceci à propos de leur adjuvent rituel :

Hamdouchi, tourneur sur bois de son état, rencontré à Sidi Mogdoul, me dit en préparant sa pipe de kif : « Tout ce qui brûle au feu n’est pas impur. Jadis, on cachait le kif dans le tambour. Le moqadem disait : « Fumez où bon vous semble, sauf dans la salle de prière. »Nous gens du hal, nous avons besoin de fumer jusqu’à ce que nos yeux soient hors des orbites pour pouvoir chanter et faire monter le saken (l’habitant surnaturel) ».

Et c’est en ces termes que je décrivais les scènes de transe :

Pour la première fois des gens du public tombent en transe. Un jeune homme de 18 ans perd le contrôle de ses gestes. Une autre jeune fille se roule par terre en pleurant. Elle retire son peignoir que prend sa sœur qui l’accompagne et qui paraît plus étonnée d’être parmi les hommes que de l’état de sa sœur. Un boucher me dit plus tard que la possession de cette fille cessera avec le mariage. Le public l’observe avec sympathie et compréhension. Non pas en tant que cas pathologique, mais en tant que personne en contact avec le surnaturel. La jeune fille s’effondre dès que la musique cesse. Le public se précipite autour d’elle. Dakki, le jeune hautboïste d’Essaouira leur dit :
« Eloignez-vous, elle n’a rien, c’est seulement le hal, apportez le brasero et l’encens… »
.Après avoir respiré ce parfum, elle sort de sa transe et va se reposer.
En participant à ce moussem, j’ai rêvé moi-même que je suis tombé en transe. En le rapportant le lendemain à Georges Lapassade, il me dit : « Tu résistes à la transe en état de veille parce que tu es occidentalisé, mais au sommeil tu cèdes à ta culture profonde qui est fondée sur le hal. » .
Dans le langage populaire marocain, la transe se dit hal , c’est à dire l’état de celui qui est « saisi » qui est « possédé » par les esprits et qui tombe en transe pour cette raison. Un chant de la confrérie des Ghazaoua évoque le hal en ces termes :

Le hal, le hal, Ô ceux qui connaissent le hal !
Le hal qui me fait trembler !
Celui que le hal ne fait pas trembler, je vous annonce ;
Ô homme ! Que sa tête est encore vide
Ses ailes n’ont pas de plumes
Et sa maison n’a pas d’enceinte
Son jardin n’a pas de palmier
Celui qui est parfait, la calomnie ne l’effleure pas
Sidi Ahmed Ben Ali le wali
Prends-nous en charge, Ô notre cheikh !
Sidi Ahmed et Sidi Mohamed
Ayez pitié de nous. »

Le hal est cette énergie supérieure qui dictent aux Gnaoua en état de transe le choix de telle ou telle couleur, et qui dictaient à Sidi Abderahman el- Mejdoub en extase ses fameux quatrains. Le « Mejdoub », est celui qui est possédé par le hal.

Abdelkader MANA

Il doppio omosessuale e la trance

di Luigi di Cristo (fotoreporter, entronauta)

Essaouira Marocco agosto 1996



Il doppio omosessuale e la trance


Nei paesi arabi i travestiti ( detti mulhannat in arabo classico ), nascondono la loro attività e le loro passioni. Non c’è possibilità di esibirsi vestiti da donna, come avviene nei paesi occidentali. Sono emarginati duramente e non hanno alcuna possibilità di superare questo destino. Di fatto, l’immaginario arabo-mussulmano non può accettare niente d’intermediario e d’indefinito tra il “maschile e il femminile”: una dualità complementare considerata come l’architettura stessa dell’Ordine Divino. Come scrive l’antropologo e psicanalista algerino Malek Chebel in un suo studio intitolato La cultura dell’harem . L’androgino, l’effeminato, l’eunuco, l’ermafrodito, il bardache, il fanciullo disponibile ai più grandi e altre costituzioni rientrerebbero – secondo la visione egemonica dell’islam ortodosso – in una sorta di gigantesca idolatria in cui Allah rischierebbe di non trovare posto. Ne deriva la particolare diffidenza suscitata da questi esseri dell’ “inverso” della creazione divina. Il che spiega , inoltre, la particolare infatuazione per il mito dell’androgino in un certo numero di scrittori maghrebini e soprattutto in quelli che il mestiere ha spinto verso i limiti della scrittura, in una lingua che non è la loro, il“francese”.

Questa estate, durante l’inchiesta sui Gnawa con George Lapassade e Gianni de Martino, abbiamo incontrato in Marocco un ragazzo che aveva il desiderio di vestirsi da donna, ma che lo faceva solo a casa. Un giorno ha sognato una divinità africana, festeggiata durante i rituali gnawa con il nome di Lalla Malika. Nel sogno, questa “entità” gli suggeriva di diventare suo sacerdote. Il giovane va a consultare un terapeuta tradizionale, che interpreta questo sogno e lo incita ad ubbidire a Lalla Malika. Egli invita allora a casa sua un gruppo di gnawa e organizza il rituale chiamato Lila.

I musicisti della trance, ex schiavi neri e figli di schiavi, “chiamano” le loro divinità ancestrali soprattutto le donne della loro confraternita, entrano in trance e si sdoppiano, diventando-come in un teatro religioso-la divinità evocata. Durante il rituale, allorchè viene chiamata Lalla Malika, il nostro ragazzo và anche lui in trance. Incomincia a danzare, vestito con i colori e gli indumenti femminili di Lalla Malika, e in questo stato inizia a parlare come un medium: interpella cioè le donne intervenute, che lo consultano sui loro propri problemi e gelosie.

Tramite Lalla Malika, il giovane è diventato, oggi, un medium famoso, e tutte le donne del paese ricorrono a lui per chiedergli dei consigli. Nel momento della consultazione, si trasforma ed è Lalla Malika a parlare attraverso di lui. Insomma, non è più emarginato.

Questo fatto non è eccezionale. Il giovane maghrebino contemporaneo gode, in un paese arabo-islamico, del beneficio di un sistema religioso della possessione rituale africana.

E’ un sistema che è molto simile a quello del periodo ellenico, dove la trance di possessione rituale veniva posto sotto il segno di Dionisio, il dio multiplo, il dio del trasformismo rappresentato nelle Baccanti di Euripide con una parte molto maschile( il toro) e una parte femminile ( il ragazzo con il ramo di pino e la pigna, travestito e profumato, visto da Penteo per le strade della città).

Fino a poco tempo fa, presumibilmente fino ali anni cinquanta, esisteva qualcosa di simile anche da noi in Italia, con il tarantolismo pugliese esplorato in quegli anni da Ernesto De Martino, che ne ha parlato nell’opera La terra del rimorso. Anche nel tarantolismo, i tarantati ballavano in uno stato di trance nel quale si produceva lo sdoppiamento: la tarantata diventava il ragno.

Lo sdoppiamento della personalità sembra essere una tipica caratteristica di alcuni tipi di omosessualità vissuta in società puritane. L’emarginazione e la necessità strategica di nascondere le proprie attività e le proprie passioni, fa per esempio esclamare a Rimaud: “Je est un autre”(io è un altro); e al giovane Torles, il personaggio “fine secolo” di Musil, dopo il salto con il compagno Biasini nudo nel granaio, “non sono io! Non sono io! Domani diventerò me stesso”. Spesso occorrono molti anni ad un omosessuale per riconciliarsi, dopo il “salto nell’ignoto”, con se stesso.

Nel secolo scorso, gli psicologi hanno osservato nei soggetti lo sdoppiamento della personalità. L’identità seconda aveva spesso una sua autonomia e anche un nome diverso. Si sapeva già che questa era la base psicologica della possessione . Questo tipo di possessione sembrava scomparso in occidente, ma oggi si verifica un ritorno, soprattutto in america.

In Italia, ad occuparsi anche di questa fenomenologia è una corrente forte della psichiatria romana. Nel suo studio sulle personalità multiple, il dottor Giuseppe Muti ne ha rintracciato numerosi esempi anche nell’arte figurativa: per esmpio nel quadro del simbolista G. Rossetti in cui due amanti incontrano se stessi nella penonbra di un bosco, in un ritratto di Lorenzo Lotto che rappresenta un angelo e un diavolo che si abbracciano sotto la superficie della terra. O ancora negli artisti della Pop Art americana in cui si osserva la riproduzione multipla di uno stesso soggetto, come in alcuni quadri di Andy Warrol oppure nella “Double Venus in the sky at night” di Jim Dine.

Anche il tema di Tabal, un pittore di Essaouira che ha iniziato la sua carriera fra gli gnawa, è lo sdoppiamento evidente in molte opere. Questa estate con George Lapassade e Gianni De Martino, ne abbiamo fotografate alcune per Altrove, dove si vedono personaggi sdoppiati dalla trance: come per esempio, il ritratto delluomo dal cappello a forma di doppio pesce, che, se capovolta, mostra una donna velata dall’hail tradizionale.

Quando abbiamo parlato con Tabal della sua pittura, egli ci ha detto che il vero autore dei suoi quadri è il suo melk, che gli “guida la mano”. Si è cioè espresso allo stesso modo di un medium occidentale dedito alla scrittura automatica. Egli si considera felicemente come un “posseduto”, allo stesso modo di quel ragazzo travestito di cui abbiamo parlato, allorchè danza e dà consigli alle donne, “cavalcato” da Lalla Malika, un’ancestrale regina o “spirito” dell’africa da tutti oggi riconosciuto come il suo proprio melk d’elezione.

BIBLIOGRAFIA

MALEK CHEBEL, 1988 La cultura dell’harem-Leonardo, Milano

GEORGES LAPASSADE, 1994, intervista sul tarantismo- Edizioni Madonna Oriente, lecce

GEORGES LAPASSADE, 1995, Tabal,le peintre gnawa d’Essaouira, Gallerie d’Art Frederic Damgaard,

fonte : http://www.femmenell.com/blog/il-doppio-omosessuale-e-la-trance.html

Il viaggiatore errante, articolo di Vincenzo Ampolo

Fughe Transiti e Ritorni in Georges Lapassade

Più che le controculture a Georges Lapassade interessano le ecoculture, le “culture di strada”, marginali e autenticamente popolari.

Il viaggiatore errante
Articolo di Vincenzo Ampolo

“Ovunque ci fossero segmenti di gioventù ribelli e creativi c’è stato Georges Lapassade, a suo agio, capace di utilizzare il linguaggio internazionale che nomina e significa i loro stili, i loro riti, i loro oggetti e simboli” scrive Piero Fumarola in “Per Georges”.

Foto di Noemi Bermani (Paris 8, ottobre 2004, sull'autobus radio itinerante con la banda)

È impossibile parlare di “viaggio” senza che il pensiero vada alle realtà dissociate degli Stati Modificati di Coscienza, indotte o meno dall’uso di sostanze psicoattive e nel contempo a un viaggio ‘altro’, quello interiore.

Dalla fine degli anni ’50, molti giovani intrapresero simultaneamente dei viaggi per le strade del mondo e nei meandri della propria coscienza, sperimentando forme di vita alternative e confrontandosi con culture diverse, spesso in contrasto con la realtà di appartenenza.

La ricerca psicologica-spirituale, che includeva il ricorso a droghe più o meno destrutturanti, era finalizzata a provocare cambiamenti di coscienza, tali da permettere all’individuo di recuperare il rapporto primario con la natura e di realizzare una presa di distanza (una fuga) dalle manipolazioni celebrali della società dei consumi e dalle forme di condizionamento imposte dalle istituzioni sociali.

Alla diversa “costellazione culturale”, la cosiddetta “controcultura”, cui facevano riferimento, coscientemente o meno, i giovani degli anni ‘60 e ’70, contribuirono, in modo significativo, la psicologia analitica, l’umanesimo socialista, le religioni orientali, la cultura degli indiani d’America e in definitiva tutto quello che poteva contribuire a dare un “significato” profondo alla propria esistenza.

Le “vie di vita” orientali, come Buddismo, Vedanda, Yoga, Zen e le tecniche meditative di riferimento, contribuirono a porre come valori primari, il piacere del corpo e una onesta comunicazione al posto della rappresentazione del denaro e del potere.

In questo quadro di riferimento culturale, Georges Lapassade, professore emerito di Etnografia e Scienze dell’Educazione presso l’Università di Parigi VIII e studioso dei fenomeni di “Transe”, non solo si trova a suo agio, ma propone innumerevoli stimoli, provocazioni continue e un metodo di analisi e di ricerca sia delle istituzioni sociali sia dei movimenti e delle culture alternative presenti nel mondo giovanile.

A Georges interessa allargare il campo di analisi, coinvolgendo chiunque, dando la parola anche a chi normalmente non è richiesta. Più che le controculture lo interessano le ecoculture, le “culture di strada”, marginali e autenticamente popolari.

Andare Altrove

“Un bel giorno, ho lasciato definitivamente questo paese come se fossi un bandito, un escluso, un castigato.” Scrive Georges Lapassade ne L’autobiografo, edito in Italia da Besa.

Viaggiatore errante, viaggiatore in fuga, Lapassade percorre e ripercorre il suo demone senza mai fermarsi. Si sente perennemente “spaesato”, ospite, fuori posto, abusivo, di passaggio, in transito appunto. La sua pratica di scrittura, lavoro costante d’analisi dei suoi vissuti e delle sue emozioni, trova nel libro L’autobiographe un documento unico e preziosissimo, dal quale attingeremo, quasi esclusivamente, per illustrare il suo rapporto con i luoghi e con i sentimenti che a questi si legano.

A proposito di uno dei “ritorni” ad Arbus, il suo paese natale dirà: “Non so come spiegare il motivo per cui partii da Arbus senza alcuna speranza di tornarci o perchè giro il mondo da vent’anni alla ricerca del mio luogo ideale”. E poi: “Non credo di riuscire a rimanere a lungo in questo paese. Al massimo cinque giorni. Dopodichè tornerò a Parigi e trascorrerò il Natale in Marocco. Dopo la morte di mia madre, dissi: - Non mi rivedrete mai più. E’ finita. Non voglio più rivedere questo luogo! Da quel giorno troncai definitivamente ogni sorta di legame con il mio luogo natio. Era dunque necessario spiegare il motivo per cui avevo deciso di tornarci. per ricordare, scrivere e poi staccarmene definitivamente” e ancora: “Vorrei scrivere del mio ritorno qui in paese e spiegare, nello stesso tempo, il motivo per cui giro il mondo in continuazione e perchè rivolgo il mio interesse verso altre culture rinnegando la mia.”

Georges ha paura di ritornare al suo paese natale, che egli considera “…un mondo diverso dal mio, un mondo che da sempre tende a escludermi e mi obbliga a vivere la mia vita altrove” ma ci ritorna, volontariamente, nel tentativo di “…dominare ed esorcizzare una paura divenuta ormai troppo invadente. Avevo paura di ritornare qui, ma in seguito mi sono reso conto che era una paura irrazionale. Dovevo affrontarla…”.

Se pure Lapassade riscopre e conserva, in modo del tutto particolare, un legame con la sua terra di origine, pure la mobilità, il viaggio, diventa per lui sinonimo di libertà, una necessità esistenziale, impellente se pure dolorosa.

A questo proposito egli scrive: “Io non potevo, fino alla morte di mia madre, poi di mio padre, viaggiare in tutta libertà. Venivo cacciato di casa per il mio modo di vivere, ma allo stesso tempo, dovevo tornarci per pietà filiale, mentre le mie ultime visite a mio padre non avevano più senso, non erano in grado di offrirgli niente e mi causavano solo tristezza e inutili rimorsi… Ma la coscienza del dovere familiare mi obbligò a tornare qualche volta e soprattutto a essere presente, in prima fila tra i perdenti, il giorno della sua sepoltura. Era l’ultimo legame che avevo con la mia famiglia e con la mia terra natia. Questo legame, talvolta definito “radice”, io lo percepivo sempre più come un ostacolo, come un divieto a essere libero”.

Sdradicamento e scrittura

Per sua stessa ammissione, il tema dello sradicamento mescolato al tema della scrittura, occupano nella vita di Lapassade una funzione simile e complementare. Tutti i suoi quaderni sono disseminati di frasi che danno conto di questo legame, intimo e necessario al tempo stesso: “Scriverò per spiegare il motivo per cui non voglio più fermarmi da nessuna parte (...) Sono venuto qui per annotare tutto, documentare tutto, minuto per minuto, se mi sarà possibile”. “Annoto continuamente ogni dettaglio della nostra vita quotidiana”. “Io potrei morire ovunque senza provare alcun senso di attaccamento”. “La privazione delle proprie radici è come il risultato dell’elaborazione di un lutto, contro il quale, in seguito, è inutile lottare”. “Ho soprattutto voglia di partire, mi annoio, non riesco a scrivere.”

Ma questo bisogno, di partire è in realtà un misto di ansia e piacere, una necessità, come afferma il comune amico Pietro Fumarola “…di andare oltre, il suo desiderio di inventare, di creare, di produrre percorsi diversi e nuovi”.


Marge, tra Psicanalisi e Scrittura

“Scrivere è come giocare col corpo della madre” scrive Roland Barthes in Leçon (Paris 1977, Èd. du Seuil). Nel linguaggio antropologico la parola 'marge', indica un momentaneo e limitato distacco dalla comunità, un allontanamento temporaneo, necessario per operare una trasformazione tra la persona interessata e il suo ambiente. Per Lapassade questa situazione marginale, ai bordi della realtà, è una necessità vitale che si concilia con la sua voglia di libertà e di creatività.

L’analisi personale, il suo percorso analitico, prima, per nove anni, con la lacaniana Elsa Breuer e poi con Jean Laplanche dura, solo apparentemente, 15 anni. Precedentemente, Georges Lapassade frequenta assiduamente anche lo stesso Jacques Lacan, accompagnandolo, attraverso le strade di Parigi, presso il suo domicilio o presso la clinica dove si recava per i suoi consulti e dopo le sue conferenze che egli teneva a Sainte-Anne, ogni mercoledì. Di questi incontri dirà: “Jacques Lacan mi ascoltava con molta attenzione. Parlava poco e non mi chiedeva alcun tipo di onorario. Egli mi aiutò ad apprezzare la vita in un momento di grande smarrimento, di grande confusione”.

Negli anni successivi alle sue sedute analitiche, Lapassade fa pratica di quella che oggi potremmo chiamare una sorta di Arteterapia.

Tra le esperienze più significative segnaliamo: fa nimazione musicale in un internato per ragazzi ebrei scampati ai campi; si diletta con il Jazz a Saint-Germain des Prés; fa esperienza col Living Theater; approda negli anni ʼ75/ʼ81 alle pratiche terapeutiche mutuate dalla psicologia umanistica (terapie non direttive, gestalt, autoregolazione bioenergetica, ipnosi); pratica l’Analisi istituzionale e la Socioanalisi; fa soprattutto della Scrittura un luogo, spesso ossessivo, di autoanalisi e di terapia.

Se l’Analisi permette di scoprire ciò che è nascosto, Lapassade pone attenzione e mette in gioco tutti gli aspetti relativi all’identità dei singoli, delle istituzioni e delle società.

Ai margini del suo lavoro sociale e istituzionale vi è sempre uno spazio introspettivo, una forma di autoreclusione volontaria, come lo definirebbe il suo amico Renato Curcio, nella quale Lapassade si interroga, riportando i suoi vissuti ad una consapevolezza non scontata:“Dove sto andando?”, “Perchè sono qui?”; “Perchè siamo qui?”; “Quando finirà tutto questo?.

A volte rivendicando il suo spazio vitale, la sua necessità di essere libero, oltre ogni dire: “Voglio conservare la possibilità di camminare per le strade deserte, di notte, quando tutti dormono. Voglio essere libero di dormire di giorno, dopo una notte trascorsa dai neri. Ho paura di essere controllato e soprattutto ho paura della vita collettiva. Voglio vivere da solo, lavorare quando ne ho voglia e quando mi conviene”.

A volte esprimendo la sua “angoscia di morte”, la paura dell’Ultimo definitivo viaggio, la fine del suo errare coattivo: “L’estate sta per morire, forse proprio questa notte e io ho paura della morte. (…) A che servono i miei libri se niente può impedire la fine dell’estate. Le mie estati sono già contate. Tutto ciò non fa che accrescere il mio dolore. Tuttavia, l’inizio dell’estate porta con sé, ogni anno, l’illusione che la vita possa ricominciare”.

“Penso nuovamente alla morte, cosa che non accadeva più da diversi giorni e ciò sta a significare che il breve periodo di calma vissuto prima era appena terminato. Il dolore legato alla partenza ha risvegliato le mie angosce”.

Inoltre, anche se raramente, si affaccia il tema supremo della disperata ricerca di ogni essere umano:

“Se potessi ancora trovare l’amore da qualche parte e magari qui, in questo momento – se riuscissi ad amare nonostante la mia età, senza sotterfugi e senza drammi, alla luce del sole – allora potrei vivere ovunque”.

E ancora, riprendendo e riaffermando questo rapporto tra scrittura e Analisi dei sentimenti e dei vissuti: “Sono condannato a un’analisi interminabile. È il mio diario a rappresentare quest’analisi pressoché perenne: la riprendo ogni qualvolta mi allontano da Parigi. Ma questa autoanalisi, eternamente ricominciata, ha sempre trovato i suoi limiti nella mia incapacità di esporre ciò che tuttavia considero essenziale. Ho sempre indietreggiato dinanzi alla confessione. Non volevo confessare che mi considero un indemoniato sessuale. L’omosessualità non è una perversione; è una possessione da parte del fantasma dell’altro sesso”.

Infine, sempre nei suoi diari, egli mette in relazione la necessità dei suoi viaggi con la speranza e con il ricordo di momenti felici.

“Il mio attaccamento a questi luoghi era in relazione diretta con i miei incontri sessuali. Non so se sia necessario puntualizzarlo, ma con questo intendo dire che l’attaccamento a degli angoli della terra trova sempre la sua forza nel piacere sessuale e nei legami amorosi”.

“Ogni viaggio è sempre, anche, un viaggio interiore, che inevitabilmente ci riporta al punto da cui siamo partiti. E tuttavia nessun viaggio è mai concluso. La nostalgia di un altrove innominato ci accompagnerà per sempre (…) Ci sono paesi in cui siamo stati felici, ma non ci sono paesi felici”.

Considerazioni finali

“Noi fummo interi e il desiderio dell’antica unità così come la sua ricerca ha un nome: Eros.” è Platone nel Convivio.

L’aspetto istintivo della coscienza individuale costruisce, attraverso la memoria emotiva, una storia segreta della nostra vita, che diverge, quando non vi si contrappone, dalla storia ufficiale, legalizzata e socialmente riconosciuta. Questa storia segreta è sempre molto più vera, inquietante e sovversiva di quella legata alla professione, ai ruoli e alle apparenze di un supposto ordine vitale.

Il desiderio dell’altro e dell’oltre è pure un desiderio di conoscersi e riconoscersi attraverso questa esperienza che, implicando il pericolo ed il fascino dell’ignoto, ci permette di misurare e di sperimentare tutti i nostri limiti e le nostre umane possibilità.

È, secondo noi, proprio questo andare 'alla ventura' che, nel caso di Georges Lapassade, esprime una ricerca di unità e di armonia capace di superare le scissioni e gli enigmi dell’esistenza.

Appartengono a questa avventura ed a questa ricerca, sia culturale che personale, i percorsi estatici, mistici e terapeutici, nei quali Georges pone al centro il 'corpo erotico', con i suoi riti e con le sue vertigini. L’Oltre e l'Altrove che spingono al viaggio, alla ricerca ed alla scrittura, sono sempre illuminati da Eros e vivono di attrazione, di seduzione e di incanto.

Come insegnato dai saggi della nostra cultura, da Socrate a Jung, il 'logos' si nutre di desiderio, il desiderio del “ campo della verità” capace di connettere, di legare, di fondere ciò che è confuso e scisso.

Se nella sua storia ufficiale, Georges, come ognuno di noi, era alla ricerca di sicurezze, di Stati Ordinari di Coscienza, nella sua storia segreta era alla ricerca di Transiti creativi, Stati Modificati, Alterati, Inquietanti e Sovversivi:“Nei momenti in cui non scrivo, resto disteso sul divano a giocare con i miei fantasmi sessuali o i miei sogni professionali. Non oso scrivere nulla riguardo a tali fantasmi e tali sogni…”.

La sua identità segreta, in questa realtà fluida e in continuo movimento, subiva mutazioni e tendeva a diventare sempre più molteplice, ibrida, magmatica, sincretica, e multiculturale. Per il ricercatore Georges Lapassade tutto ciò era solo parzialmente vero. La continuità e l’unità della sua ricerca testimoniano di un tentativo d’armonia che viveva di fughe, di allegri transiti e di ritorni consapevoli e riparatori.

Georges era, in definitiva, il creatore del proprio 'luogo emozionale', mentre sceglieva i luoghi del suo esistere e i percorsi della sua scrittura. Credo si possa dire di lui che permane semplicemente altrove, come una goccia d’acqua luminosa, in transito perenne, nell’oceano infinito della vita e della morte.


Una necessità dicevamo, come quella di sperimentare anche i rituali più consueti ed essenziali, come il matrimonio e i funerali, per i quali non sentiva una reale attrazione.

Se le partenze, come i matrimoni e i funerali, lo deprimevano, riempiendolo di ansia e tristezza, pure Lapassade non si sottrae a nessuno di questi rituali, che anzi affronta e supera ricercando nuove mete e nuove occasioni di crescita e di studio.

“Partire… non devo lasciarmi andare, devo invece trovare la forza per riprendere la mia strada”.

domenica 17 maggio 2009

Le Temps des cerises

Le Temps des cerises est une chanson de 1866, paroles de Jean-Baptiste Clément, musique d'Antoine Renard.

Quand nous chanterons le temps des cerises
Et gai rossignol et merle moqueur
Seront tous en fête
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au cœur
Quand nous chanterons le temps des cerises
Sifflera bien mieux le merle moqueur

Mais il est bien court le temps des cerises
Où l'on s'en va deux cueillir en rêvant
Des pendants d'oreilles...
Cerises d'amour aux robes pareilles
Tombant sous la feuille en gouttes de sang...
Mais il est bien court le temps des cerises
Pendants de corail qu'on cueille en rêvant !

Quand vous en serez au temps des cerises
Si vous avez peur des chagrins d'amour
Évitez les belles !
Moi qui ne craint pas les peines cruelles
Je ne vivrai pas sans souffrir un jour...
Quand vous en serez au temps des cerises
Vous aurez aussi des chagrins d'amour !

J'aimerai toujours le temps des cerises
C'est de ce temps-là que je garde au cœur
Une plaie ouverte !
Et Dame Fortune, en m'étant offerte
Ne saurait jamais calmer ma douleur...
J'aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au coeur .